(merci à Philippe Brin)
Transcription :
"Il importait de donner une direction à la marche, et vers un but qui ne fût pas trop éloigné. Je crois que de nombreux chefs aujourd'hui savent que cet oasis vers où l'on se dirigea est un mirage, mais qu'il est bon de laisser ignorer la déconvenue pour ne point décourager trop d'avancer. Mieux vaudrait enseigner aux hommes que ce paradis sera ce qu'il le feront ; qu'il ne peut y en avoir de tout fait ; que tout reste à la mesure de l'homme et que tant vaut l'homme tant vaudra la "constitution".
Mais aujourd'hui, vu cette frime, je ne vois plus, parmi les communistes stalinisés, que dupeurs et dupes. Mais les aveuglés, volontaires ou non, verront la preuve que Staline lutte contre la restauration du capitalisme dans ceci que, ceux qu'il accuse d'abord de la vouloir, cette restauration, il les fusille. Excellente façon tout à la fois de se débarrrasser d'eux et de se couvrir."
Fort aimablement, Philippe Brin m'envoie la reproduction de deux pages de carnets autographes d'André Gide. Outre le plaisir de voir le trait sans rature d'une pensée "au courant de la plume", ce document donne une idée de ce que sont les "Feuillets" qu'on retrouve annexés au Journal en fin de chaque année.
Pour les Oeuvres complètes dont l'édition est confiée en 1931 à Martin-Chauffier, la Petite Dame donne dans ses Cahiers un aperçu de l'ampleur de ce matériau épars : feuilles volantes, pages arrachées à des carnets sur lesquelles Gide traite d'une idée, d'une personne, le plus souvent non datées, et qu'il faut par conjecture verser à la bonne année.
Ces deux pages sont "reprises pour la première fois par Martine Sagaert dans la nouvelle édition du Journal II (Pléiade 1997,p.590)", précise Philippe Brin. Ce qui les place à l'année 1937. On y voit en effet un Gide "Retour d'URSS", bien critique vis-à-vis de l'URSS de Staline. La démonstration et le ton sont ceux des "Retouches à mon Retour d'URSS" dont ces pages sont sans doute des fragments de réflexion.
L'allusion à la "constitution" vise très probablement l'adoption de la nouvelle constitution de l'URSS par le VIIIe Congrès des Soviets le 5 décembre 1936. La fin du texte, le deuxième procès de Moscou de janvier 1937. Gide porte ses Retouches à la NRF en mai 1937. Pour moi, ces feuillets datent donc des premiers mois de cette année 1937.
Il y a bien entendu un avant et un après au voyage que fit Gide en URSS en 36. Il y a aussi une profonde évolution entre les deux textes de critique que sont Retour et Retouches pourtant publiés à huit mois d'intervalle. Gide dira à la Petite Dame avoir regretté de ne publier dans le Retour d'URSS que ses conclusions et que les Retouches constituaient donc les raisonnements qui avaient conduit à ces conclusions.
Malraux voit juste lorsqu'il dit à Gide (et Gide le répète à la Petite Dame qui le consigne dans ses Cahiers, page 37 du tome 3) qu'il a vu dans le Retour le livre d'un homme ému, et dans les Retouches l'oeuvre d'un homme irrité. Irrité parce que jugé sinon calomnieux, mensonger, du moins ingrat. Gide s'emploie alors à expliquer pourquoi il brûle ce qu'il a aimé.
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