André Gide traducteur de Shakespeare et plus généralement d'anglais littéraire ou un décryptage osé des images de Paludes par Béatrice Beck : voici quelques exemples des nouveaux documents des ressources en lignes de ce blog. Tous vos liens vers des articles, livres, mémoires etc. qui n'y figurent pas encore sont les bienvenus pour compléter cette page.
Encore quelques jours pour pouvoir écouter en ligne les deux émissions de France Inter « Partir avec » consacrées à Gide ( ici pour le premier volet et là pour le second). On peut en déplorer le manque de chronologie et les affreuses musiquettes qui accompagnent les lectures par l'animatrice Brigitte Kernel, mais ce mélange des entretiens avec Jean Amrouche et d'extraits des œuvres de Gide forme au final un très bon survol.
Le site du Magazine Littéraire nous apprend que le centenaire de la maison d'édition Gallimard, après celui de la NRF, donnera lieu à une exposition du 22 mars au 3 juillet 2011 à Bibliothèque nationale de France - Site François Mitterrand :
« Sous la direction d’Alban Cerisier, directeur des fonds patrimoniaux de Gallimard, l’exposition présentera des archives inédites, des manuscrits aux photographies en passant par des éditions originales et des extraits de correspondances. «Blanche», «Série noire», et bien sûr la prestigieuse «Pléiade» ainsi que l’incontournable «Folio», les nombreuses collections y seront représentées en un dispositif comprenant des archives sonores et audiovisuelles de l’INA. »
D'ici là, c'est à la mairie du 11e arrondissement de Paris que du 18 septembre au 2 octobre qu'on pourra découvrir l'exposition « André Gide : un album de famille » réalisée par Jean-Pierre Prévost avec l'aide de Catherine Gide et de sa Fondation. C'est cette même exposition qui vient de s'achever au Festival de Ravello et qui célèbre la parution le 2 septembre prochain du livre avec DVD éponyme chez Gallimard (192 pages, ISBN 9782070130658, 35€).
mardi 24 août 2010
vendredi 20 août 2010
Une hyperprésence (Madeleine, 4)
« Mais il me semblait que je comprenais, je comprenais pourquoi André avait voulu épouser sa cousine Madeleine, surtout après ses premières expériences en Afrique du Nord, pourquoi ils s'aimaient et pourquoi, en dépit de leur amour, ils s'étaient fait tant de peine tout au long de leur mariage mais sans jamais se séparer. On ne peut pas juger leur union à l'aune de ce qu'on attend aujourd'hui de ce type d'arrangement. De nos jours, si vous n'êtes pas du genre à vous marier, vous ne vous mariez pas. À l'époque, si, et ensuite il fallait faire pour le mieux. Il en est résulté dans leur cas une bien singulière union. André Gide était un homme très singulier.
Au cours de son adolescence, il me semble qu'André a vu dans sa cousine Madeleine son salut. Quand nous commençons à ressentir ce genre de chose, nous nous disons à nous-même : voilà l'être qui sera le gardien de tout ce qu'il y a de bon en moi, quoi que je puisse faire. Le seul et l'unique, je le sais. Et cela ne le rend pas beau uniquement à nos yeux, il devient l'essence même de la beauté, que ce soit en musique ou en peinture. Sans cet être-là, sans savoir qu'il ou elle sera toujours présent, véritable pierre de touche de ce que nous sommes réellement, nous risquons d'oublier sans cesse qui nous sommes, nous risquons de nous désintégrer, de ne plus exister. Il n'est pas question de nous changer mais de nous ancrer. Gide utilisait ce terme à propos de Madeleine : il disait qu'elle était « ancrée » à Cuverville. Et en retour, nous donnerons à cette personne toute la joie possible, autant que faire se peut. En un mot, il s'agira d'une « hyperprésence » (comme l'a écrit le critique Pierre Masson à propos de Madeleine). Quelqu'un qui nous restera fidèle alors que nous partirons à l'aventure à travers le monde, et sera un réconfort quand nous rentrerons à la maison. Je comprends parfaitement qu'après avoir desserré en Afrique du Nord le carcan de ses idées d'adolescent sur ce qu'est le bien, il soit revenu précipitamment chez lui pour se marier avec Madeleine — et pas simplement se marier, mais se marier avec Madeleine, l'incarnation de ce qu'il y avait de bon en lui et qui était en train de disparaître. Seulement voilà, elle était une femme, et pas une hyperréalité éthérée. Il l'a blessée en l'abandonnant sans arrêt pour partir à l'aventure et en écrivant ensuite le récit de ses dépravations que tout le monde pouvait lire. Et elle l'a blessé en faisant de Cuverville une espèce de triste couvent. Si bien que le mariage, comme sa bonté à lui, sont partis à vau-l'eau. Mais je comprends ce qui l'a poussé à cette union.
Bien sûr, ce n'est pas ce genre de compagnonnage — même avec une touche de sentiment — qu'un mariage est censé être. Il ne s'agit évidemment pas de la sorte d'amour dont on parle dans les romans ou dans les films. Ce n'est pas ce qu'Antoine a éprouvé pour Cléopâtre, en tout cas dans la version de Shakespeare, ni ce que Vronski (et même ce vieux croûton de Karénine) a ressenti pour Anna Karénine, ou Rhett Butler pour Scarlett O'Hara, ou tous ces gamins fougueux pour leurs jolies petites copines dans les soap opéras qu'on voit à la télévision. Les hyperprésences ne sont pas vraiment de ce monde, trop dépourvues de sens dramatique pour qu'on en tire des romans, elles n'ont pas de point culminant, on n'a pas envie d'en parler. D'une certaine manière, elles n'existent que par leur refus de faire partie du quotidien. Il est certain qu'aujourd'hui aucun jeune homme ne se soucierait d'un mariage de ce genre. Cela n'intéresse pas les autorités, quant aux familles, elles s'attendent qu'un mariage produise des enfants. Il y a quelque chose de presque enfantin dans ce genre d'histoire, de pas très masculin, comme si André Gide et ses semblables (y compris plusieurs de ses personnages) voulaient rester des gamins à jamais et passer le reste de leur vie à jouer à des jeux très excitants avec d'autres gamins. Cela rappelle tous ces jeunes gens — de fantomatiques grands-oncles, au dernier rang sur de vieilles photos de famille — qui avaient autrefois fait la cour à leur fiancée pendant des années, avant de finalement mourir (tragiquement le plus souvent) au cours d'intrépides actions accomplies très, très loin, généralement en compagnie d'autres jeunes comme eux. Les guerres et les colonies se révélaient en cela fort utiles.
Ce n'est peut-être pas ce qu'on attend d'un jeune homme en bonne santé, mais ce n'est pas un crime, ni même quelque chose de moralement répréhensible, pas en soi. Beaucoup d'hommes ont d'un côté des amis qu'ils aiment et de l'autre des amis avec qui s'amuser. Beaucoup ont esquivé le mariage, reculé devant le fait de s'engager et, pour paraphraser Robert Louis Stevenson, repoussé l'idée de prendre avec femme et enfants le chemin long et poussiéreux qui conduit au tombeau. Après tout, une fois que vous êtes marié, il ne vous reste rien, pas même le suicide, vous devez bien vous conduire jusqu'au bout. C'est une terrifiante perspective. Quel homme voudrait bien se conduire jusqu'au bout ? Mais que se passe-t-il si vous voulez vous marier comme tout le monde (c'est beaucoup plus facile de savoir comment se comporter avec vous en société), être vilain quand cela vous convient et, pourtant, rester fondamentalement bon ? C'est là que l'hyperprésence d'une épouse est un don du ciel. Dans un cas comme celui que j'évoque, une tendre hyperprésence, outre le fait d'être le port d'attache où vous rentrez en toute sécurité entre deux escapades, constitue le garant inaliénable (à l'instar de certaines mères ou de l'Église catholique) de votre rédemption, de vos vertus essentielles, en dépit des mauvaises actions que vous avez pu commettre ailleurs. Étant donné que Gide n'était pas catholique et n'avait plus sa mère quand il s'est marié (il est significatif qu'il ait demandé Madeleine en mariage exactement deux semaines après sa mort), sa cousine a dû lui sembler être la personne idéale pour remplir ce rôle. N'était-elle pas « un ange », comme il l'appelait (c'est une très fréquente incarnation de l'hyperprésence et pas du tout la même chose qu'une sainte), pétrifiée d'avoir découvert à quinze ans que sa mère avait un amant (avec qui cette dernière s'est plus tard enfuie à Paris) ? Ange pétrifié érotiquement, elle a peut-être estimé que choisir un homme dépourvu d'intentions charnelles était une bonne idée — au moins au début. Comme elle le lui a écrit peu après leurs fiançailles, ce n'était pas de la mort qu'elle avait peur, mais du mariage. Pour être honnête, plus j'en apprends sur Madeleine à travers ce que Gide et ses nombreux biographes et amis ont écrit, plus je la soupçonne de ne pas avoir été un ange, mais avant tout une femme que le monde matériel terrorisait, au point qu'elle se barricadait pour ne pas le voir. Elle était imprenable. Pour elle, le simple fait d'aller jusqu'à Fécamp représentait une épreuve.
C'est pourquoi, j'en suis absolument sûr, Gide pouvait écrire le plus sérieusement du monde après la mort de Madeleine qu'il ne lui semblait pas avoir été infidèle en cherchant ailleurs les plaisirs de la chair qu'il ne savait pas comment lui demander à elle. Vous ne pouvez pas donner votre cœur à qui que ce soit d'autre — cela serait être infidèle et, quand Gide l'a fait, il en est résulté une catastrophe — mais un orgasme une fois de temps en temps avec un étranger ne prive votre hyperprésence de rien du tout, cela ne vaut même pas la peine d'en parler. C'est là le sens de « hyper ». Une hyperprésence est au-dessus de ce genre de chose. Je le sais parce que, plus préoccupé, comme Gide, de ma bonté que de ma vertu, j'en ai une dans ma vie depuis près de trente ans. Dans mon cas, c'est un homme, pas une femme, nous nous sommes rencontrés un siècle après Gide et Madeleine, et tout est beaucoup plus clair. Une hyperprésence n'est pas l'objet de votre amour. C'est, à la lettre, l'air que vous respirez. »
Au cours de son adolescence, il me semble qu'André a vu dans sa cousine Madeleine son salut. Quand nous commençons à ressentir ce genre de chose, nous nous disons à nous-même : voilà l'être qui sera le gardien de tout ce qu'il y a de bon en moi, quoi que je puisse faire. Le seul et l'unique, je le sais. Et cela ne le rend pas beau uniquement à nos yeux, il devient l'essence même de la beauté, que ce soit en musique ou en peinture. Sans cet être-là, sans savoir qu'il ou elle sera toujours présent, véritable pierre de touche de ce que nous sommes réellement, nous risquons d'oublier sans cesse qui nous sommes, nous risquons de nous désintégrer, de ne plus exister. Il n'est pas question de nous changer mais de nous ancrer. Gide utilisait ce terme à propos de Madeleine : il disait qu'elle était « ancrée » à Cuverville. Et en retour, nous donnerons à cette personne toute la joie possible, autant que faire se peut. En un mot, il s'agira d'une « hyperprésence » (comme l'a écrit le critique Pierre Masson à propos de Madeleine). Quelqu'un qui nous restera fidèle alors que nous partirons à l'aventure à travers le monde, et sera un réconfort quand nous rentrerons à la maison. Je comprends parfaitement qu'après avoir desserré en Afrique du Nord le carcan de ses idées d'adolescent sur ce qu'est le bien, il soit revenu précipitamment chez lui pour se marier avec Madeleine — et pas simplement se marier, mais se marier avec Madeleine, l'incarnation de ce qu'il y avait de bon en lui et qui était en train de disparaître. Seulement voilà, elle était une femme, et pas une hyperréalité éthérée. Il l'a blessée en l'abandonnant sans arrêt pour partir à l'aventure et en écrivant ensuite le récit de ses dépravations que tout le monde pouvait lire. Et elle l'a blessé en faisant de Cuverville une espèce de triste couvent. Si bien que le mariage, comme sa bonté à lui, sont partis à vau-l'eau. Mais je comprends ce qui l'a poussé à cette union.
Bien sûr, ce n'est pas ce genre de compagnonnage — même avec une touche de sentiment — qu'un mariage est censé être. Il ne s'agit évidemment pas de la sorte d'amour dont on parle dans les romans ou dans les films. Ce n'est pas ce qu'Antoine a éprouvé pour Cléopâtre, en tout cas dans la version de Shakespeare, ni ce que Vronski (et même ce vieux croûton de Karénine) a ressenti pour Anna Karénine, ou Rhett Butler pour Scarlett O'Hara, ou tous ces gamins fougueux pour leurs jolies petites copines dans les soap opéras qu'on voit à la télévision. Les hyperprésences ne sont pas vraiment de ce monde, trop dépourvues de sens dramatique pour qu'on en tire des romans, elles n'ont pas de point culminant, on n'a pas envie d'en parler. D'une certaine manière, elles n'existent que par leur refus de faire partie du quotidien. Il est certain qu'aujourd'hui aucun jeune homme ne se soucierait d'un mariage de ce genre. Cela n'intéresse pas les autorités, quant aux familles, elles s'attendent qu'un mariage produise des enfants. Il y a quelque chose de presque enfantin dans ce genre d'histoire, de pas très masculin, comme si André Gide et ses semblables (y compris plusieurs de ses personnages) voulaient rester des gamins à jamais et passer le reste de leur vie à jouer à des jeux très excitants avec d'autres gamins. Cela rappelle tous ces jeunes gens — de fantomatiques grands-oncles, au dernier rang sur de vieilles photos de famille — qui avaient autrefois fait la cour à leur fiancée pendant des années, avant de finalement mourir (tragiquement le plus souvent) au cours d'intrépides actions accomplies très, très loin, généralement en compagnie d'autres jeunes comme eux. Les guerres et les colonies se révélaient en cela fort utiles.
Ce n'est peut-être pas ce qu'on attend d'un jeune homme en bonne santé, mais ce n'est pas un crime, ni même quelque chose de moralement répréhensible, pas en soi. Beaucoup d'hommes ont d'un côté des amis qu'ils aiment et de l'autre des amis avec qui s'amuser. Beaucoup ont esquivé le mariage, reculé devant le fait de s'engager et, pour paraphraser Robert Louis Stevenson, repoussé l'idée de prendre avec femme et enfants le chemin long et poussiéreux qui conduit au tombeau. Après tout, une fois que vous êtes marié, il ne vous reste rien, pas même le suicide, vous devez bien vous conduire jusqu'au bout. C'est une terrifiante perspective. Quel homme voudrait bien se conduire jusqu'au bout ? Mais que se passe-t-il si vous voulez vous marier comme tout le monde (c'est beaucoup plus facile de savoir comment se comporter avec vous en société), être vilain quand cela vous convient et, pourtant, rester fondamentalement bon ? C'est là que l'hyperprésence d'une épouse est un don du ciel. Dans un cas comme celui que j'évoque, une tendre hyperprésence, outre le fait d'être le port d'attache où vous rentrez en toute sécurité entre deux escapades, constitue le garant inaliénable (à l'instar de certaines mères ou de l'Église catholique) de votre rédemption, de vos vertus essentielles, en dépit des mauvaises actions que vous avez pu commettre ailleurs. Étant donné que Gide n'était pas catholique et n'avait plus sa mère quand il s'est marié (il est significatif qu'il ait demandé Madeleine en mariage exactement deux semaines après sa mort), sa cousine a dû lui sembler être la personne idéale pour remplir ce rôle. N'était-elle pas « un ange », comme il l'appelait (c'est une très fréquente incarnation de l'hyperprésence et pas du tout la même chose qu'une sainte), pétrifiée d'avoir découvert à quinze ans que sa mère avait un amant (avec qui cette dernière s'est plus tard enfuie à Paris) ? Ange pétrifié érotiquement, elle a peut-être estimé que choisir un homme dépourvu d'intentions charnelles était une bonne idée — au moins au début. Comme elle le lui a écrit peu après leurs fiançailles, ce n'était pas de la mort qu'elle avait peur, mais du mariage. Pour être honnête, plus j'en apprends sur Madeleine à travers ce que Gide et ses nombreux biographes et amis ont écrit, plus je la soupçonne de ne pas avoir été un ange, mais avant tout une femme que le monde matériel terrorisait, au point qu'elle se barricadait pour ne pas le voir. Elle était imprenable. Pour elle, le simple fait d'aller jusqu'à Fécamp représentait une épreuve.
C'est pourquoi, j'en suis absolument sûr, Gide pouvait écrire le plus sérieusement du monde après la mort de Madeleine qu'il ne lui semblait pas avoir été infidèle en cherchant ailleurs les plaisirs de la chair qu'il ne savait pas comment lui demander à elle. Vous ne pouvez pas donner votre cœur à qui que ce soit d'autre — cela serait être infidèle et, quand Gide l'a fait, il en est résulté une catastrophe — mais un orgasme une fois de temps en temps avec un étranger ne prive votre hyperprésence de rien du tout, cela ne vaut même pas la peine d'en parler. C'est là le sens de « hyper ». Une hyperprésence est au-dessus de ce genre de chose. Je le sais parce que, plus préoccupé, comme Gide, de ma bonté que de ma vertu, j'en ai une dans ma vie depuis près de trente ans. Dans mon cas, c'est un homme, pas une femme, nous nous sommes rencontrés un siècle après Gide et Madeleine, et tout est beaucoup plus clair. Une hyperprésence n'est pas l'objet de votre amour. C'est, à la lettre, l'air que vous respirez. »
Robert Dessaix, Arabesques, Mercure de France, Paris, 2009
jeudi 19 août 2010
Ce soir et demain sur France Inter
Brigitte Kernel consacre deux émissions de "Partir avec..." à Gide, ce soir jeudi 19 août et demain vendredi 20 août de 21h à 22h. Sous-titrée "Les grandes voix du XXe siècle", cette émission s'appuie sur les archives sonores et devrait donc donner à entendre une nouvelle fois des extraits des entretiens avec Jean Amrouche. Ces deux émissions seront disponibles à l'écoute pendant sept jours sur le site de "Partir avec...".
Nouveautés
Des changements vont intervenir progressivement dans l'apparence d'e-gide jusqu'à la rentrée où de nouvelles couleurs et présentation feront leur apparition...
En attendant, un nouveau système d'onglets est déjà disponible en haut de la page, juste sous les titre et sous-titre. Au blog en lui-même s'ajoute déjà une rubrique "Ressources en ligne". Le but de cette page de liens : recenser tous les livres numériques, articles, analyses, monographies, témoignages etc. sur et autour de Gide qui sont disponibles gratuitement, librement et légalement sur Internet.
Cette page s'enrichira régulièrement de nouvelles publications et découvertes. Une première salve de 107 liens en langue française et de 7 liens en langue anglaise est déjà en ligne. Votre aide est la bienvenue pour signaler des documents qui ne seraient pas encore recensés ou pour créer une rubrique de liens vers des documents dans une autre langue.
Le choix d'un classement par auteurs et par ordre alphabétique est apparu comme le plus simple à mettre en place et pour trouver ce que l'on cherche... quand on sait ce que l'on cherche ! Sinon il reste la recherche par mots-clés dans la page - qui s'active dans tous les navigateurs grâce aux touches Ctrl + F.
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mardi 17 août 2010
André Gide, Un album de famille
A l'occasion de la parution le 2 septembre prochain du livre-dvd de Jean-Pierre Prévost André Gide, Un album de famille (Editions Gallimard - Fondation Catherine Gide), la mairie du 11e arrondissement de Paris accueillera du 18 septembre au 2 octobre l'exposition du même nom :
LA MAIRIE DU 11e, LA FONDATION CATHERINE GIDE
et JEAN-PIERRE PREVOST
présentent du 18 septembre
au 2 octobre 2010
au 2 octobre 2010
UNE EXPOSITION EXCEPTIONNELLE
ANDRE GIDE
UN ALBUM DE FAMILLE
100 photos, pour beaucoup inédites, nous racontent une histoire peu banale. Elle commence en 1899.
André Gide, le jeune auteur de Paludes, a trente ans et il est marié à Madeleine Rondeaux, sa cousine, qui vit seule en Normandie. Dans un Salon, à Paris, il rencontre le peintre néo-impressionniste belge Théo Van Rysselberghe et sa femme Maria. C’est le début d’une grande, belle et fidèle amitié, plus spécialement avec Maria, qui ne s’achèvera qu’à la mort de Gide en 1951.
Gide voyage, souvent en compagnie de Maria et Théo, Gide écrit, Gide multiplie les rencontres importantes, Roger Martin du Gard, Jean Schlumberger, tant d’autres, Gide aime la compagnie des jeunes garçons, Gide est amoureux de Marc Allégret, le futur cinéaste dont il sera l’éducateur … Tout ce que fait Gide, tout ce que pense Gide, Maria - dite « la Petite Dame » - le consignera au jour le jour dans des cahiers qu’on appellera plus tard les « Cahiers de la Petite Dame »
Maria et Théo ont une fille, Elisabeth, âgée de neuf ans en 1899, qui a pour l’écrivain une grande affection, une affection d’ailleurs partagée et qui ne se démentira jamais.
Qui peut alors imaginer que vingt ans plus tard, en 1922, Gide et Elisabeth choisiraient en toute liberté de donner naissance à un enfant, hors de toute union officielle ? Une facétie du destin ou une volonté d’affirmer l’un et l’autre leur goût absolu de l’indépendance ?
Cet enfant naît le 18 avril 1923. Gide espérait bien sûr un garçon … ce sera une fille, Catherine. L’identité de son père n’est alors connue que de quelques initiés ; et Catherine elle-même l’ignorera jusqu’à l’âge de treize ans.
« Familles je vous hais » avait écrit Gide. Gide va devenir un père attentif et aimant, à sa façon, puis un grand-père comblé de quatre petits enfants. Et Catherine sera, avec sa grand-mère Maria – la «Petite Dame» –, le témoin privilégié de ce climat de ferveur hors normes si cher à l’auteur des Nourritures terrestres.
Cet « album de souvenirs », présenté ici en exposition, est extrait d’un livre accompagné d’un DVD, et composé d’archives privées réunies et commentées par Catherine Gide et Jean-Pierre Prévost. Il trace les contours de cette singulière famille, et nous fait découvrir cinquante ans de la vie d’un Gide intime et voyageur entouré de ses proches et de ses amis.
100 PHOTOS
EXPOSITION A LA SALLE DES FETES DE LA MAIRIE DU 11EME
Du 18 septembre au 2 octobre 2010
Entrée libre du lundi au vendredi de 10h à 17h. Jusqu’à 19h30 le jeudi.
Salle des fêtes – Mairie du 11ème
12 Place Léon Blum - 75011 Paris - Métro VoltaireTél : 01 53 27 11 11 – www.mairie11.paris.fr
lundi 16 août 2010
The Male Prison, de James Baldwin (Madeleine, 3)
“Toutes les sources se touchent”, parfois, en effet... Tout comme Mauriac réagissait à la parution d'Et nunc manet in te et du Madeleine et André Gide de Jean Schlumberger, James Baldwin écrivit son célèbre Gide as husband and homosexual suite à la sortie aux Etats-Unis de Madeleine, la traduction d'Et nunc... Cet essai est paru le 13 décembre 1954 dans la revue New Leader et repris sous le titre The Male Prison dans le recueil de textes Nobody Knows My Name en 1961.
“The Male Prison
THERE IS SOMETHING IMMENSELY humbling in this last document from the hand of a writer whose elaborately graceful fiction very often impressed me as simply cold, solemn and irritatingly pious, and whose precise memoirs made me accuse him of the most exasperating egocentricity. He does not, to be sure, emerge in Madeleine as being less egocentric; but one is compelled to see this egocentricity as one of the conditions of his life and one of the elements of his pain. Nor can I claim that reading Madeleine has caused me to re-evaluate his fiction (though I care more now for The Immoralist than I did when I read it several years ago); it has only made me feel that such a re-evaluation must be made. For, whatever Gide's shortcomings may have been, few writers of our time can equal his devotion to a very high ideal.
It seems to me now that the two things which contributed most heavily to my dislike of Gide – or, rather, to the discomfort he caused me to feel – were his Protestantism and his homosexuality. It was clear to me that he had not got over his Protestantism and that he had not come to terms with his nature. (For I believed at one time – rather oddly, considering the examples by which I was surrounded, to say nothing of the spectacle I myself presented – that people did "get over" their earliest impressions and that "coming to terms" with oneself simply demanded a slightly more protracted stiffening of the will.) It was his Protestantism, I felt, which made him so pious, which invested all of his work with the air of an endless winter, and which made it so difficult for me to care what happened to any of his people.
And his homosexuality, I felt, was his own affair which he ought to have kept hidden from us, or, if he needed to be so explicit, he ought at least to have managed to be a little more scientific – whatever, in the domain of morals, that word may mean – less illogical, less romantic. He ought to have leaned less heavily on the examples of dead, great men, of vanished cultures, and he ought certainly to have known that the examples provided by natural history do not go far toward illuminating the physical, psychological and moral complexities faced by men. If he were going to talk about homosexuality at all, he ought, in a word, to have sounded a little less disturbed.
This is not the place and I am certainly not the man to assess the work of André Gide. Moreover, I confess that a great deal of what I felt concerning his work I still feel. And that argument, for example, as to whether or not homosexuality is natural seems to me completely pointless – pointless because I really do not see what difference the answer makes. It seems clear, in any case, at least in the world we know, that no matter what encyclopedias of physiological and scientific knowledge are brought to bear the answer never can be Yes. And one of the reasons for this is that it would rob the normal – who are simply the many – of their very necessary sense of security and order, of their sense, perhaps, that the race is and should be devoted to outwitting oblivion – and will surely manage to do so.
But there are a great many ways of outwitting oblivion, and to ask whether or not homosexuality is natural is really like asking whether or not it was natural for Socrates to swallow hemlock, whether or not it was natural for St. Paul to suffer for the Gospel, whether or not it was natural for the Germans to send upwards of six million people to an extremely twentieth-century death. It does not seem to me that nature helps us very much when we need illumination in human affairs. I am certainly convinced that it is one of the greatest impulses of mankind to arrive at something higher than a natural state. How to be natural does not seem to me to be a problem – quite the contrary. The great problem is how to be – in the best sense of that kaleidoscopic word – a man.
This problem was at the heart of all Gide's anguish, and it proved itself, like most real problems, to be insoluble. He died, as it were, with the teeth of this problem still buried in his throat. What one learns from Madeleine is what it cost him, in terms of unceasing agony, to live with this problem at all. Of what it cost her, his wife, it is scarcely possible to conjecture. But she was not so much a victim of Gide's sexual nature – homosexuals do not choose women for their victims, nor is the difficulty of becoming a victim so great for a woman that she is compelled to turn to homosexuals for this – as she was a victim of his overwhelming guilt, which connected, it would seem, and most unluckily, with her own guilt and shame.
If this meant, as Gide says, that "the spiritual force of my love [for Madeleine] inhibited all carnal desire," it also meant that some corresponding inhibition in her prevented her from seeking carnal satisfaction elsewhere. And if there is scarcely any suggestion through out this appalling letter that Gide ever really understood that he had married a woman or that he had any apprehension of what a woman was, neither is there any suggestion that she ever, in any way, insisted on or was able to believe in her womanhood and its right to flower.
Her most definite and also most desperate act is the burning of his letters – and the anguish this cost her, and the fact that in this burning she expressed what surely must have seemed to her life's monumental failure and waste, Gide characteristically (indeed, one may say, necessarily) cannot enter into and cannot understand. "They were my most precious belongings," she tells him, and perhaps he cannot be blamed for protecting himself against the knife of this dreadful conjugal confession. But: "It is the best of me that disappears," he tells us, "and it will no longer counterbalance the worst." (Italics mine.) He had entrusted, as it were, to her his purity, that part of him that was not carnal; and it is quite clear that, though he suspected it, he could not face the fact that it was only when her purity ended that her life could begin, that the key to her liberation was in his hands.
But if he had ever turned that key madness and despair would have followed for him, his world would have turned completely dark, the string connecting him to heaven would have been cut. And this is because then he could no longer have loved Madeleine as an ideal, as Emanuele, God-with-us, but would have been compelled to love her as a woman, which he could not have done except physically. And then he would have had to hate her, and at that moment those gates which, as it seemed to him, held him back from utter corruption would have been opened. He loved her as a woman, indeed, only in the sense that no man could have held the place in Gide's dark sky which was held by Madeleine. She was his Heaven who would forgive him for his Hell and help him to endure it. As indeed she was and, in the strangest way possible, did – by allowing him to feel guilty about her instead of the boys on the Piazza d'Espagne – with the result that, in Gide's work, both his Heaven and his Hell suffer from a certain lack of urgency.
Gide's relations with Madeleine place his relations with men in rather a bleak light. Since he clearly could not forgive himself for his anomaly, he must certainly have despised them – which almost certainly explains the fascination felt by Gide and so many of his heroes for countries like North Africa. It is not necessary to despise people who are one's inferiors – whose inferiority, by the way, is amply demonstrated by the fact that they appear to relish, without guilt, their sensuality.
It is possible, as it were, to have one's pleasure without paying for it. But to have one's pleasure without paying for it is precisely the way to find oneself reduced to a search for pleasure which grows steadily more desperate and more grotesque. It does not take long, after all, to discover that sex is only sex, that there are few things on earth more futile or more deadening than a meaningless round of conquests. The really horrible thing about the phenomenon of present-day homosexuality, the horrible thing which lies curled like a worm at the heart of Gide's trouble and his work and the reason that he so clung to Madeleine, is that today's unlucky deviate can only save himself by the most tremendous exertion of all his forces from falling into an underworld in which he never meets either men or women, where it is impossible to have either a lover or a friend, where the possibility of genuine human involvement has altogether ceased. When this possibility has ceased, so has the possibility of growth.
And, again: It is one of the facts of life that there are two sexes, which fact has given the world most of its beauty, cost it not a little of its anguish, and contains the hope and glory of the world. And it is with this fact, which might better perhaps be called a mystery, that every human being born must find some way to live. For, no matter what demons drive them, men cannot live without women and women cannot live without men. And this is what is most clearly conveyed in the agony of Gide's last journal. However little he was able to understand it, or, more important perhaps, take upon himself the responsibility for it, Madeleine kept open for him a kind of door of hope, of possibility, the possibility of entering into communion with another sex. This door, which is the door to life and air and freedom from the tyranny of one's own personality, must be kept open, and none feel this more keenly than those on whom the door is perpetually threatening or has already seemed to close.
Gide's dilemma, his wrestling, his peculiar, notable and extremely valuable failure testify – which should not seem odd – to a powerful masculinity and also to the fact that he found no way to escape the prison of that masculinity. And the fact that he endured this prison with such dignity is precisely what ought to humble us all, living as we do in a time and country where communion between the sexes has become so sorely threatened that we depend more and more on the strident exploitation of externals, as, for example, the breasts of Hollywood glamour girls and the mindless grunting and swaggering of Hollywood he-men.
It is important to remember that the prison in which Gide struggled is not really so unique as it would certainly comfort us to believe, is not very different from the prison inhabited by, say, the heroes of Mickey Spillane. Neither can they get through to women, which is the only reason their muscles, their fists and their tommy guns have acquired such fantastic importance. It is worth observing, too, that when men can no longer love women they also cease to love or respect or trust each other, which makes their isolation complete. Nothing is more dangerous than this isolation, for men will commit any crimes whatever rather than endure it. We ought, for our own sakes, to be humbled by Gide's confession as he was humbled by his pain and make the generous effort to understand that his sorrow was not different from the sorrow of all men born. For, if we do not learn this humility, we may very well be strangled by a most petulant and unmasculine pride.”
Nobody Knows My Name, More Notes of a Native Son, James Baldwin,
Vintage Books, Random House, New York, 1993, pp.155-162
vendredi 13 août 2010
Dimanche à Pontigny
Du préau à la maison où mourut, en 1940, le philosophe Paul Desjardins (ouverte ce jour-là), en passant par l'exposition dans le réfectoire du XIIe siècle, le vivier des moines, les Amis de Pontigny prêteront leurs voix aux écrivains et philosophes ayant participé à cette aventure intellectuelle.
André Gide, François Mauriac, Roger Martin du Gard, Maria Van Rysselberghe, André Maurois, Charles Du Bos, Clara et André Malraux, Raymond Aron, Vladimir Jankélévitch furent des habitués des Décades.
À travers les photos prises par les « décadistes » eux-mêmes, les témoignages qu'ils ont laissés dans leurs journaux intimes, correspondances, mémoires ou œuvres, le public revivra l'atmosphère de cette époque.
Avec un regard quelquefois acerbe, toujours perspicace, teinté d'une bonne dose d'humour, ils racontent le cadre enchanteur empreint d'un reste d'austérité monastique, les rites de la vie quotidienne, le déroulement des entretiens.
Des joutes intellectuelles, des jeux littéraires et des amitiés indéfectibles naquirent là. Les participants évoquent la fatigue de « ces dix jours qui n'en faisaient qu'un tant il fallait renoncer à dormir », ainsi que leurs rapports parfois difficile au maître du lieu, homme à la personnalité complexe et intimidante.
Walter Benjamin et Gisèle Freund, qui trouvèrent un temps refuge au foyer international d'étude et de repos, disent le Pontigny des dernières années, ultime havre de paix dans une Europe déchirée par la montée des totalitarismes. Marcel Proust et Henri Bergson, fidèles compagnons de jeunesse de Paul Desjardins, brossent le portrait de leur ami (que Proust inclut dans Du côté de chez Swann).
Ces carnets, qui font une large place aux relations que l'auteur entretient avec les intellectuels du temps, ainsi qu'à Pontigny où il se retire définitivement à partir de 1929, apportent un émouvant témoignage sur la vie intérieure de cet homme d'influence."
P.-F. C. pour le site lyonne.fr
lundi 9 août 2010
Madeleine, "une âme sur les confins" (2)
" IL n'y a pas de hasard dans les lectures. Toutes mes sources se touchent : Pascal, Racine, Gide. Les siècles n'y font rien. C'est la même nappe souterraine. Je reviens à Gide. C'est Madeleine, sa femme, qui m'y ramène puisqu'on s'occupe d'elle, qu'on écrit sur elle, — qui en aurait tant souffert!
La femme d'André Gide eut la passion de l'effacement. Disparaître, c'était là son dernier désir — ne pas survivre aux yeux des hommes, échapper à cette histoire triste, où le pur et l'immonde si étrangement sont confondus — où l'ange ne s'interrompt jamais de faire la bête, et la bête l'ange : l'histoire d'André Gide.
Et Gide mort a commis la seule action devant laquelle notre amitié pour lui pouvait le céder un instant au dégoût : il a traîné cette grande âme secrète au jour de la publicité qui lui faisait horreur. Il a profité de ce que les morts sont sans défense et de ce qu'ils nous sont livrés pour arracher à sa nuit cette fille de Dieu qui ne demandait plus que d'être oubliée.
Mais enfin, puisque cette action a été commise, il reste que nous en sommes les bénéficiaires. Jean Schlumberger, qui a connu et aimé Madeleine Gide, a compris que la seule réparation d'un tort si cruel était dans la lumière totale : il fallait que plus rien ne fût caché et que Madeleine Gide — puisque Gide nous l'a livrée — nous apparaisse telle qu'elle fut, et non telle qu'il plaisait à Gide que nous la jugions.
Ce livre, Madeleine et André Gide, chef-d'œuvre de biographie spirituelle, est l'histoire d'une âme enchaînée à une créature luciférienne : Eloa a répondu à l'amour de l'ange sombre, mais elle n'a pas été perdue par lui. Si elle l'a sauvé ou si elle a souffert en vain, c'est le secret de Dieu. Elle, du moins, demeure intacte, incorruptible. Ce beau diamant éclaire de ses feux la ténèbre d'un destin qui, dans l'ordre spirituel, est à faire peur.
Mais ce n'est plus à cause de Gide qu'elle nous retient. C'est pour elle-même désormais que nous relirons les textes trop rares que Jean Schlumberger nous livre. Nous n'avons plus rien à apprendre du Narcisse vieilli qui, durant tant d'années, nous a décrit ce que la source lui révélait de sa figure. Mais d'elle, si secrète, nous attendons, nous espérons... Qu'attendons-nous? Qu'espérons-nous?
Je ne l'ai pas connue, mais j'ai rencontré des âmes de sa race. Rien n'est si vain que le débat sur les mérites comparés de la femme et de l'homme. Je crois pourtant qu'il existe un point de perfection où une grande âme féminine ne peut être rejointe par aucun de nous. Mon expérience personnelle m'incline à penser que ces âmes-là se rencontrent souvent sur les confins du protestantisme et du catholicisme : c'est le cas pour Madeleine Gide, ou du stoïcisme et du catholicisme : il faut nommer ici Simone Weil, ou du catholicisme et d'une vie toute donnée aux passions du cœur — et je ne puis cette fois nommer personne; mais plus d'un visage surgit de ma mémoire, de ces amantes qui s'attachaient enfin, non plus à un être, mais à l'Amour incarné.
La sincérité de l'esprit, c'est ce que Madeleine Gide doit à son éducation protestante. Bien qu'elle fût demeurée longtemps ignorante des singularités gidiennes, que sa pureté n'aurait pu même concevoir, elle sut appliquer, dès sa jeunesse, cette vertu d'un jugement lucide et inflexible à la connaissance de l'être qu'elle aimait, le plus subtil, le plus ondoyant, le plus trouble, le plus habile à cacher ses voies.
Déjà, bien des années avant qu'elle l'eût épousé, son diagnostic est formulé en termes si nets que tout semble dit sur Gide. « A un moment, écrit-elle, j'ai eu le sentiment très vif et très triste que nous aurions dorénavant chacun des sentiers séparés quand il s'agit du but. Dieu veuille qu'il n'en soit jamais rien... J'ai été attristée, effrayée de sentir combien -- plus que jamais — tu étais à toi-même ton seul but — ton seul souci — ton seul amour — qui t'envahit, André! »
Ceci est extrait d'un cahier secret rédigé par Madeleine en 1891 et 1892; et lorsque vingt-six ans plus tard, dans une heure de désespoir lucide, elle brûle les lettres de Gide et qu'elle assiste, glacée, à la rage de l'homme de lettres qui brame « après la plus belle correspondance qui ait jamais été écrite », la douleur de l'écrivain la confirme dans son jugement de jeune fille : ses lettres s'adressaient, à travers elle, au public futur et achevaient le portrait dont la composition fut le seul but, le seul souci, le seul intérêt d'André Gide (et peut-être de chacun de nous dont le métier est d'écrire et de nous livrer).
Le lieu commun que l'amour a besoin d'estime est vrai pour Madeleine. Elle ne peut pas ne pas aimer cet être étrange qui lui fut si cher dès l'enfance et d'ailleurs si digne d'admiration et d'amour à tant de titres – et elle ne peut pas ne pas avoir horreur, non de ce qu'il est — cela, c'est encore le secret de Dieu — mais de ce qu'il fait et de ce qu'il inspire à d'autres de faire. Par-delà toute frustration, là réside le mal qui ronge lentement cette âme retranchée du monde et je ne puis partager le point de vue optimiste de Schlumberger qui veut que ce couple ait eu en somme une histoire heureuse et qui reproche à Gide d'avoir en quelque sorte calomnié leur bonheur.
Qu'il ait cédé au penchant de dramatiser et d'appuyer sur le trait noir, qu'il ait arrangé les faits en vue de cette dramatisation ne change rien aux données de ce destin d'une âme angélique livrée dès l'enfance au mal incarné dans les êtres qui lui étaient le plus proches, puisqu'elle passe des mains de sa mère, épouse coupable et scandaleuse, à celles de l'adolescent qui s'appelait André Gide.
Et comme je ne l'ai pas connue je ne puis que m'incliner devant ce que rapporte un témoin de la qualité de Jean Schlumberger; mais n'a-t-il pas minimisé ce que signifie la volonté de retrait, d'effacement d'une femme qui ne vit plus guère auprès de son mari qu'à Cuverville — mais cela ne serait rien : elle qui comme écrivain n'a jamais cessé de le mettre au premier rang (et jusqu'à croire qu'il est notre Goethe!) se refuse désormais à ne plus rien lire de Gide (sinon par fragment dans un numéro de revue, où paraissent Les Faux Monnayeurs).
Rien ne montre mieux quelle horreur, mais aussi quelle honte et peut-être quelle terreur d'un scandale public enténébrèrent sa vie de femme. Il me semble qu'ici Schlumberger s'aveugle sur ce qu'il faut bien appeler un martyre, d'autant plus cruel qu'il n'a ni commencement ni fin, qu'il se confond avec tous les instants d'une vie..
La nostalgie, chez Madeleine, de la messe catholique dut être en réalité l'aspiration à ce que lui refusait le protestantisme : la foi dans le pouvoir rédempteur de la souffrance. Que les actes ne servent de rien, qu'André ne pût recevoir aucun bénéfice spirituel de ce qu'elle endurait, et qu'il lui fût interdit de racheter cette âme si engagée dans le mal, le refus de la Communion des Saints en un mot, c'était sa foi de protestante, mais tout une part d'elle-même savait Qu'elle ne souffrait pas en vain. Ce qui m'incline à le croire, c'est cet apaisement, à la fin de sa vie, où Schlumberger voit la preuve que les époux avaient retrouvé l'harmonie d'autrefois. Mais pouvait-elle ignorer ce dont tant de revues et de livres se faisaient l'écho et quel vieillard Gide était et se glorifiait d'être? Comment donc eût-elle pu retrouver la paix?
Cette paix, est-il téméraire de croire qu'elle l'a recueillie sur ces confins dont je parlais en commençant — où, protestante fidèle à sa confession, elle a tout de même composé le miel qui lui était nécessaire, en ramenant, d'au-delà une frontière indécise, les principes d'une vérité qui ne lui avait pas été enseignée et qu'elle avait découverte?
Il entre aussi, peut-être, dans cette indulgence qu'elle témoigne finalement au pécheur, une vue moins simple du péché que celle qui est enseignée par les Eglises. Les livres qu'elle a lus, l'atmosphère intellectuelle de Cuverville, tout la préparait à concevoir que le crime qui relève à ce degré de la pathologie n'apparaît pas à l'éternelle Justice sous l'aspect qui le rend si horrible aux théologiens. Son mari lui a semblé un jour avoir le visage d'un criminel et d'un fou, selon ce que rapporte Gide lui-même. Mais il y a là déjà un premier jugement qui appelle, qui exige la circonstance atténuante.
J'imagine assez comment devait apparaître à une créature aussi orientée vers Dieu que notre héroïne le milieu étrange dont son époux était l' « enchanteur ». Je le sais, parce que je n'ai cessé d'y être moi-même attentif et que j'ai tenu à l'occasion un bout de rôle dans ce combat spirituel, dans cette guerre de religion qu'avaient déclenchée les retours à l'Eglise catholique de Dupouey, de Jammes, de Ghéon, de Copeau, de Du Bos, et dont, pour les croyants, le salut d'André Gide était en quelque sorte l'enjeu.
Cette guerre se manifesta avec le plus de violence autour du lit de mort de Jacques Rivière et lorsque Du Bos lança contre Gide la bombe de son Labyrinthe à claire-voie.
Nul doute que dans ce combat les catholiques n'aient plus d'une fois choqué, irrité et peut-être détourné Madeleine Gide, si proche de retrouver le chemin de Rome. Une lettre d'elle à Claudel en témoigne, admirable de dignité et de fierté.
Gide, lui, fut trop heureux de pouvoir accuser ses amis; leur pharisaïsme, « leur apologétique à coup d'ostensoir », l'avait, disait-il, heureusement dégoûté de l'Eglise. Au vrai, il n'eût cédé à rien ni à personne, et il le savait. Je crois au respect infini de Dieu pour la liberté d'une âme : le non de Gide avait été dit — ce non sur lequel il faudrait un miracle pour que l'âme qui l'a proféré revienne jamais, si ce n'est à la dernière seconde et dans un dernier souffle, parce que « tout est possible à Dieu ».
Peut-être Madeleine Gide fut-elle en revanche écartée par ces catholiques vaticinateurs et qui damnaient si allègrement leur frère. Mais si elle demeurait aux côtés de son mari, chaque fois qu'il était attaqué, elle n'en devait pas moins abhorrer le milieu gidien et les drames qui s'y
nouaient. Le plus étrange de ces histoires, c'est l'imbrication des deux amours : on dirait une trouble comédie de Shakespeare où il se découvre à la fin que la princesse était un prince.
Quand deux êtres sont aussi liés que ces deux-là, gardons-nous pourtant d'accabler l'un sous la vertu de l'autre. Madeleine, qui était l'aînée, qui n'avait consenti au mariage qu'à vingt-cinq ans, et après de longs refus, ignorait peut-être à ce moment-là le nom de l'écharde que Gide portait dans sa chair, mais elle savait qu'il existait une écharde et d'avance l'avait acceptée. Elle n'eût pas voulu d'un autre destin ou, pour mieux dire, d'une autre vocation, elle qui jamais n'a dû douter que « la femme fidèle sanctifie l'époux infidèle ». Retranchée dans sa foi, comme Gide dans la sienne, aussi inentamable que lui, aussi obstinée, elle demeurait sur la rive d'où le prodigue s'était éloigné, moins désespérée que pensive : « Toujours je la connus pensive et sérieuse... » J'aime que Jean Delay, dans son livre sur la jeunesse de Gide, cite à propos de Madeleine ce vers de Sainte-Beuve.
Si désarmée, si frêle dans ces remous de passion, dans cet enchevêtrement d'intrigues nouées
et dénouées par l'ange du bizarre, elle a été en apparence vaincue et le livre que l'époux survivant lui consacra ressemble à une vengeance non de lui sur elle, mais de l'esprit dont il était possédé, sur la grâce qui régnait dans cette âme sainte. Pourtant je me rappelle ce dernier mot de Gide mourant où je croirai toujours entendre le cri d'une âme qui, à l'extrême bord des ténèbres, s'entend appelée par son nom; c'est tout ensemble une voix de femme et une voix d'enfant : la voix d'Emmanuèle, d'Alissa, de Madeleine..."
La femme d'André Gide eut la passion de l'effacement. Disparaître, c'était là son dernier désir — ne pas survivre aux yeux des hommes, échapper à cette histoire triste, où le pur et l'immonde si étrangement sont confondus — où l'ange ne s'interrompt jamais de faire la bête, et la bête l'ange : l'histoire d'André Gide.
Et Gide mort a commis la seule action devant laquelle notre amitié pour lui pouvait le céder un instant au dégoût : il a traîné cette grande âme secrète au jour de la publicité qui lui faisait horreur. Il a profité de ce que les morts sont sans défense et de ce qu'ils nous sont livrés pour arracher à sa nuit cette fille de Dieu qui ne demandait plus que d'être oubliée.
Mais enfin, puisque cette action a été commise, il reste que nous en sommes les bénéficiaires. Jean Schlumberger, qui a connu et aimé Madeleine Gide, a compris que la seule réparation d'un tort si cruel était dans la lumière totale : il fallait que plus rien ne fût caché et que Madeleine Gide — puisque Gide nous l'a livrée — nous apparaisse telle qu'elle fut, et non telle qu'il plaisait à Gide que nous la jugions.
Ce livre, Madeleine et André Gide, chef-d'œuvre de biographie spirituelle, est l'histoire d'une âme enchaînée à une créature luciférienne : Eloa a répondu à l'amour de l'ange sombre, mais elle n'a pas été perdue par lui. Si elle l'a sauvé ou si elle a souffert en vain, c'est le secret de Dieu. Elle, du moins, demeure intacte, incorruptible. Ce beau diamant éclaire de ses feux la ténèbre d'un destin qui, dans l'ordre spirituel, est à faire peur.
Mais ce n'est plus à cause de Gide qu'elle nous retient. C'est pour elle-même désormais que nous relirons les textes trop rares que Jean Schlumberger nous livre. Nous n'avons plus rien à apprendre du Narcisse vieilli qui, durant tant d'années, nous a décrit ce que la source lui révélait de sa figure. Mais d'elle, si secrète, nous attendons, nous espérons... Qu'attendons-nous? Qu'espérons-nous?
Je ne l'ai pas connue, mais j'ai rencontré des âmes de sa race. Rien n'est si vain que le débat sur les mérites comparés de la femme et de l'homme. Je crois pourtant qu'il existe un point de perfection où une grande âme féminine ne peut être rejointe par aucun de nous. Mon expérience personnelle m'incline à penser que ces âmes-là se rencontrent souvent sur les confins du protestantisme et du catholicisme : c'est le cas pour Madeleine Gide, ou du stoïcisme et du catholicisme : il faut nommer ici Simone Weil, ou du catholicisme et d'une vie toute donnée aux passions du cœur — et je ne puis cette fois nommer personne; mais plus d'un visage surgit de ma mémoire, de ces amantes qui s'attachaient enfin, non plus à un être, mais à l'Amour incarné.
La sincérité de l'esprit, c'est ce que Madeleine Gide doit à son éducation protestante. Bien qu'elle fût demeurée longtemps ignorante des singularités gidiennes, que sa pureté n'aurait pu même concevoir, elle sut appliquer, dès sa jeunesse, cette vertu d'un jugement lucide et inflexible à la connaissance de l'être qu'elle aimait, le plus subtil, le plus ondoyant, le plus trouble, le plus habile à cacher ses voies.
Déjà, bien des années avant qu'elle l'eût épousé, son diagnostic est formulé en termes si nets que tout semble dit sur Gide. « A un moment, écrit-elle, j'ai eu le sentiment très vif et très triste que nous aurions dorénavant chacun des sentiers séparés quand il s'agit du but. Dieu veuille qu'il n'en soit jamais rien... J'ai été attristée, effrayée de sentir combien -- plus que jamais — tu étais à toi-même ton seul but — ton seul souci — ton seul amour — qui t'envahit, André! »
Ceci est extrait d'un cahier secret rédigé par Madeleine en 1891 et 1892; et lorsque vingt-six ans plus tard, dans une heure de désespoir lucide, elle brûle les lettres de Gide et qu'elle assiste, glacée, à la rage de l'homme de lettres qui brame « après la plus belle correspondance qui ait jamais été écrite », la douleur de l'écrivain la confirme dans son jugement de jeune fille : ses lettres s'adressaient, à travers elle, au public futur et achevaient le portrait dont la composition fut le seul but, le seul souci, le seul intérêt d'André Gide (et peut-être de chacun de nous dont le métier est d'écrire et de nous livrer).
Le lieu commun que l'amour a besoin d'estime est vrai pour Madeleine. Elle ne peut pas ne pas aimer cet être étrange qui lui fut si cher dès l'enfance et d'ailleurs si digne d'admiration et d'amour à tant de titres – et elle ne peut pas ne pas avoir horreur, non de ce qu'il est — cela, c'est encore le secret de Dieu — mais de ce qu'il fait et de ce qu'il inspire à d'autres de faire. Par-delà toute frustration, là réside le mal qui ronge lentement cette âme retranchée du monde et je ne puis partager le point de vue optimiste de Schlumberger qui veut que ce couple ait eu en somme une histoire heureuse et qui reproche à Gide d'avoir en quelque sorte calomnié leur bonheur.
Qu'il ait cédé au penchant de dramatiser et d'appuyer sur le trait noir, qu'il ait arrangé les faits en vue de cette dramatisation ne change rien aux données de ce destin d'une âme angélique livrée dès l'enfance au mal incarné dans les êtres qui lui étaient le plus proches, puisqu'elle passe des mains de sa mère, épouse coupable et scandaleuse, à celles de l'adolescent qui s'appelait André Gide.
Et comme je ne l'ai pas connue je ne puis que m'incliner devant ce que rapporte un témoin de la qualité de Jean Schlumberger; mais n'a-t-il pas minimisé ce que signifie la volonté de retrait, d'effacement d'une femme qui ne vit plus guère auprès de son mari qu'à Cuverville — mais cela ne serait rien : elle qui comme écrivain n'a jamais cessé de le mettre au premier rang (et jusqu'à croire qu'il est notre Goethe!) se refuse désormais à ne plus rien lire de Gide (sinon par fragment dans un numéro de revue, où paraissent Les Faux Monnayeurs).
Rien ne montre mieux quelle horreur, mais aussi quelle honte et peut-être quelle terreur d'un scandale public enténébrèrent sa vie de femme. Il me semble qu'ici Schlumberger s'aveugle sur ce qu'il faut bien appeler un martyre, d'autant plus cruel qu'il n'a ni commencement ni fin, qu'il se confond avec tous les instants d'une vie..
La nostalgie, chez Madeleine, de la messe catholique dut être en réalité l'aspiration à ce que lui refusait le protestantisme : la foi dans le pouvoir rédempteur de la souffrance. Que les actes ne servent de rien, qu'André ne pût recevoir aucun bénéfice spirituel de ce qu'elle endurait, et qu'il lui fût interdit de racheter cette âme si engagée dans le mal, le refus de la Communion des Saints en un mot, c'était sa foi de protestante, mais tout une part d'elle-même savait Qu'elle ne souffrait pas en vain. Ce qui m'incline à le croire, c'est cet apaisement, à la fin de sa vie, où Schlumberger voit la preuve que les époux avaient retrouvé l'harmonie d'autrefois. Mais pouvait-elle ignorer ce dont tant de revues et de livres se faisaient l'écho et quel vieillard Gide était et se glorifiait d'être? Comment donc eût-elle pu retrouver la paix?
Cette paix, est-il téméraire de croire qu'elle l'a recueillie sur ces confins dont je parlais en commençant — où, protestante fidèle à sa confession, elle a tout de même composé le miel qui lui était nécessaire, en ramenant, d'au-delà une frontière indécise, les principes d'une vérité qui ne lui avait pas été enseignée et qu'elle avait découverte?
Il entre aussi, peut-être, dans cette indulgence qu'elle témoigne finalement au pécheur, une vue moins simple du péché que celle qui est enseignée par les Eglises. Les livres qu'elle a lus, l'atmosphère intellectuelle de Cuverville, tout la préparait à concevoir que le crime qui relève à ce degré de la pathologie n'apparaît pas à l'éternelle Justice sous l'aspect qui le rend si horrible aux théologiens. Son mari lui a semblé un jour avoir le visage d'un criminel et d'un fou, selon ce que rapporte Gide lui-même. Mais il y a là déjà un premier jugement qui appelle, qui exige la circonstance atténuante.
J'imagine assez comment devait apparaître à une créature aussi orientée vers Dieu que notre héroïne le milieu étrange dont son époux était l' « enchanteur ». Je le sais, parce que je n'ai cessé d'y être moi-même attentif et que j'ai tenu à l'occasion un bout de rôle dans ce combat spirituel, dans cette guerre de religion qu'avaient déclenchée les retours à l'Eglise catholique de Dupouey, de Jammes, de Ghéon, de Copeau, de Du Bos, et dont, pour les croyants, le salut d'André Gide était en quelque sorte l'enjeu.
Cette guerre se manifesta avec le plus de violence autour du lit de mort de Jacques Rivière et lorsque Du Bos lança contre Gide la bombe de son Labyrinthe à claire-voie.
Nul doute que dans ce combat les catholiques n'aient plus d'une fois choqué, irrité et peut-être détourné Madeleine Gide, si proche de retrouver le chemin de Rome. Une lettre d'elle à Claudel en témoigne, admirable de dignité et de fierté.
Gide, lui, fut trop heureux de pouvoir accuser ses amis; leur pharisaïsme, « leur apologétique à coup d'ostensoir », l'avait, disait-il, heureusement dégoûté de l'Eglise. Au vrai, il n'eût cédé à rien ni à personne, et il le savait. Je crois au respect infini de Dieu pour la liberté d'une âme : le non de Gide avait été dit — ce non sur lequel il faudrait un miracle pour que l'âme qui l'a proféré revienne jamais, si ce n'est à la dernière seconde et dans un dernier souffle, parce que « tout est possible à Dieu ».
Peut-être Madeleine Gide fut-elle en revanche écartée par ces catholiques vaticinateurs et qui damnaient si allègrement leur frère. Mais si elle demeurait aux côtés de son mari, chaque fois qu'il était attaqué, elle n'en devait pas moins abhorrer le milieu gidien et les drames qui s'y
nouaient. Le plus étrange de ces histoires, c'est l'imbrication des deux amours : on dirait une trouble comédie de Shakespeare où il se découvre à la fin que la princesse était un prince.
Quand deux êtres sont aussi liés que ces deux-là, gardons-nous pourtant d'accabler l'un sous la vertu de l'autre. Madeleine, qui était l'aînée, qui n'avait consenti au mariage qu'à vingt-cinq ans, et après de longs refus, ignorait peut-être à ce moment-là le nom de l'écharde que Gide portait dans sa chair, mais elle savait qu'il existait une écharde et d'avance l'avait acceptée. Elle n'eût pas voulu d'un autre destin ou, pour mieux dire, d'une autre vocation, elle qui jamais n'a dû douter que « la femme fidèle sanctifie l'époux infidèle ». Retranchée dans sa foi, comme Gide dans la sienne, aussi inentamable que lui, aussi obstinée, elle demeurait sur la rive d'où le prodigue s'était éloigné, moins désespérée que pensive : « Toujours je la connus pensive et sérieuse... » J'aime que Jean Delay, dans son livre sur la jeunesse de Gide, cite à propos de Madeleine ce vers de Sainte-Beuve.
Si désarmée, si frêle dans ces remous de passion, dans cet enchevêtrement d'intrigues nouées
et dénouées par l'ange du bizarre, elle a été en apparence vaincue et le livre que l'époux survivant lui consacra ressemble à une vengeance non de lui sur elle, mais de l'esprit dont il était possédé, sur la grâce qui régnait dans cette âme sainte. Pourtant je me rappelle ce dernier mot de Gide mourant où je croirai toujours entendre le cri d'une âme qui, à l'extrême bord des ténèbres, s'entend appelée par son nom; c'est tout ensemble une voix de femme et une voix d'enfant : la voix d'Emmanuèle, d'Alissa, de Madeleine..."
François Mauriac, Mémoires Intérieurs, Flammarion, 1959
vendredi 6 août 2010
A la recherche de Madeleine (1)
La comédienne Ariel Brenner incarnait Madeleine Gide
dans la pièce de Michael Martin le mois dernier à Chicago.
dans la pièce de Michael Martin le mois dernier à Chicago.
« Il faut bien oser parler de Madeleine Gide... Pourtant, l'historien, tout conscient qu'il peut être aujourd'hui d'une part de l'importance du rôle qu'elle a eu dans l'itinéraire d'André Gide, et d'autre part de l'infidélité du portrait que celui-ci nous en a laissé, l'historien qui ne l'a pas connue hésite ; il hésite à risquer sa lourde plume sur la mémoire de cette femme qui fut la noblesse, la délicatesse, mais aussi la discrétion mêmes. On aimerait pouvoir se dérober, en citant in extenso le très beau livre de Jean Schlumberger, Madeleine et André Gide... Mais il faut oser et, après avoir recomposé l'image à l'aide des traits épars dans l'œuvre, des Cahiers d'André Walter à Et nunc manet in te, tenter de voir, derrière Emmanuèle, Ellis, Marceline, Alissa..., qui fut la vraie Madeleine et ce que signifie l'altération de son personnage dans le « drame » vécu par Gide. »
André Gide par lui-même, Claude Martin,
Ecrivains de Toujours, Seuil, 1963, p.31
L'auteur et comédien américain Michael Martin me donne l'occasion d'oser parler ici de Madeleine, ce qui n'avait pas encore été le cas, en dehors de quelques allusions frileuses. Sa pièce - un court monologue - a pour titre Madeleine remains : In memory, a wife of genius et a connu le mois dernier un beau succès au Side Project Theatre de Chicago, plusieurs prolongations et d'élogieuses critiques dans la presse (voir aussi cet ancien billet). Il explique pour nous comment est née cette pièce :
« Madeleine est pour moi une représentation iconique d'un thème qui m'a toujours fasciné et que j'explore depuis toujours dans mon travail : la rançon et les plaisirs de l'intimité avec le génie. C'est ici le thème principal, même s'il est aussi question de dévotion à Dieu, à l'Art, d'amours inter-générationelles. Il est d'ailleurs bien possible que ce monologue s'attache davantage à la rançon de cette intimité avec le génie qu'à ses plaisirs. »
Madeleine est un personnage gidien malgré elle et c'est malgré elle qu'elle se retrouve sur scène, et après bien des hésitations, à expliquer qui elle est et quel rôle elle a joué auprès d'André Gide, à un public américain qui ne lit pas ! Michael Martin parvient à rendre fort amusante cette confrontation qui se voulait une explication de texte mais tournera au règlement de comptes et à la déclaration d'amour...
« Le célèbre essai de James Baldwin sur Gide* a été important dans l'idée que je me suis faite de Madeleine. Mais vraiment, elle est ici un véhicule pour des attitudes qui sont toutes ou presque miennes. Elle est parfaite pour explorer mon univers intérieur sur le sujet », ajoute Michael Martin. De fait, pour un fantôme, sa Madeleine est une incarnation surprenante... Ce parti pris d'un second, voire d'un troisième degré, permet non seulement de ne pas trop coller au modèle mais aussi une théâtralité réussie.
Ce décalage évite également d'apporter tout jugement moral dans cette histoire. L'écueil principal dès lors qu'il est question de Madeleine... auquel s'ajoute le manque de documents, le risque de trop d'empathie ou au contraire d'une froide analyse. Madeleine comme un « véhicule », « recomposée derrière Emmanuèle, Ellis, Marceline, Alissa » pour Claude Martin, « hyperprésence » pour Pierre Masson suivi par Robert Dessaix...
Ou encore « héroïne » et « martyre » pour Mauriac : « La femme d'André Gide eut la passion de l'effacement. Disparaître, c'était là son dernier désir — ne pas survivre aux yeux des hommes, échapper à cette histoire triste, où le pur et l'immonde si étrangement sont confondus — où l'ange ne s'interrompt jamais de faire la bête, et la bête l'ange : l'histoire d'André Gide », écrit-il dans ses Mémoires intérieurs. Voici plusieurs fils conducteurs pour les prochains billets...
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* Gide as husband and homosexual, essai paru en 1954 dans la revue New Leader et repris sous le titre The Male Prison dans le recueil de textes Nobody Knows My Name en 1961 (1963 pour la traduction française Personne ne sait mon nom à la NRF)
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