lundi 28 mai 2012
Théo Van Rysselberghe. Du Nord au Sud.
Lundi 4 juin à 20h30 à l'espace culturel du Lavandou, projection en avant-première du film de Raphaël Dupouy "Théo Van Rysselberghe. Du Nord au Sud", qui accompagnera également l'exposition que le Musée de Lodève consacrera au peintre du 9 juin au 21 octobre.
vendredi 25 mai 2012
Gide et Stravinsky (2/2)
André Gide et Igor Stravinsky en 1933 à Wiesbaden
« Gide est venu à Wiesbaden pour
me voir en 1933. Nous avons lu le texte original de sa Perséphone
et avons tout de suite décidé du recours au récitant et du
découpage en trois parties. Gide a reconstruit et réécrit le
livret après cette rencontre », se souvient Igor Stravinsky qui
précise encore : « […] je ne pense pas qu'on puisse parler
de collaboration. La seule partie du livret à laquelle nous avons
travaillé ensemble est celle des chœurs d'enfants ; je voulais
répéter la musique à cet endroit et j'ai demandé à Gide d'écrire
des vers supplémentaires. »[1]
De son côté, Gide confie à la Petite
Dame : « Stravinski, dit-il, a parfois l'air tout à fait
stupide et d'autres fois il sort des choses assez curieuses; il
attache de plus en plus d'importance à notre ballet, qui grandit, et
finira peut-être par être très étonnant. »[2] Si l'un et
l'autre montrent un certain enthousiasme pour le projet, les
premières incompréhensions ne tardent pas à venir. Gide reprochant
tout d'abord à Stravinsky de ne rien entendre à la prosodie
française – ce sont d'ailleurs les premiers vers français que le
compositeur met en musique :
« C'est tout de même un peu gênant de donner des vers à mettre en musique à un musicien russe (il tient une lettre de Stravinski), il prend les vers à rimes féminines pour des vers de treize pieds et a une tendance à mettre l'accent sur la muette. Ça s'est du reste fait souvent, et tant pis ! »[3]
Stravinsky tente d'expliquer ses choix
dans ses Souvenirs et commentaires :
« Gide n'a pas aimé ma musique pour Perséphone et j'y vois au moins deux raisons. La première est que l'accentuation musicale du texte l'a surpris et ne lui a pas plu, bien qu'il ait été prévenu que je voulais étirer ou raccourcir, « traiter » le Français comme le Russe , et bien qu'il ait compris que mes poèmes préférés étaient des poèmes faits de syllabes, les haïku de Basho et Buson par exemple, dans lesquels les mots n'imposent pas d'accentuation tonique par eux-mêmes. La deuxième raison est tout simplement qu'il ne pouvait pas suivre ma phrase musicale. Lorsque j'ai joué la musique pour la première fois devant lui et Ida Rubinstein, tout ce qu'il trouva à dire c'est : « C'est curieux, c'est très curieux », avant de disparaître aussitôt que possible. »[1]
Plusieurs témoignages éclairent la
découverte de la musique. Stravinsky, toujours, mais cette fois dans
Dialogues, se souvient d'une soirée chez les Polignac, et
d'un malaise général :
« « La présentation sans mise en scène donnée avant cela chez les Polignac est restée plus claire dans ma mémoire, et je peux encore voir le salon de la Princesse, moi gémissant au piano, Suvchinsky chantant un fort et abrasif Eumolpe, Claudel me fixant depuis l'autre côté du piano, Gide se rengorgeant davantage à chaque phrase. »[4]
Jean Claude cite au contraire le
témoignage du secrétaire d'Ida Rubinstein qui aurait vu un Gide ému
par la musique de Stravinsky. Dans son Journal, Copeau garde
lui aussi le souvenir d'une bonne découverte. « Son
appréciation sans doute n'était pas négative, mais exprimait
plutôt le sentiment de quelqu'un dérouté par une musique qui est
loin de lui être familière et qui saisit mal les distorsions entre
sa propre prosodie et les effets musicaux du compositeur »,
estime Jean Claude[5].
Si l'on évoque Jacques Copeau, c'est qu'il fait partie de
l'aventure, tantôt crédité de la mise en scène, tantôt simple
conseiller artistique, et qui finira par demander qu'on retire son
nom des affiches et du programme... C'est lui qui a choisi André Barsacq pour
les décors, au lieu de José-Maria Sert avec qui Ida Rubinstein
travaille habituellement, et au lieu de Stravinsky-fils, que
Stravinsky-père aurait aimé imposer. Ajoutez à cela la greffe de
toutes les parties de ce grand spectacle :
« Pour Perséphone […], on ne compte pas moins de 80 choristes de l'Opéra, 12 danseurs et 15 danseuses engagés par Ida Rubinstein, le chœur d'enfants venu d'Amsterdam, une dizaine de figurants ainsi que les solistes : Perséphone, Eumolpe, rôle chanté, Mercure, rôle dansé et trois rôles muets, Déméter, Triptolème et le Génie de la mort. »[5]
Gide se sent donc peu à peu dépossédé
de son à mesure qu'elle prend de l'ampleur. Et voilà que non seulement les
décors n'ont plus rien à voir avec ceux qu'il avait
imaginés mais surtout qu'ils font basculer la tragédie antique dans un symbolisme
chrétien. Il s'en amusera plus tard au travers d'un dialogue
humoristique dans les premières pages d'Ainsi soit-il :
« - Oui, s'écriait alors Stravinsky, c'est comme la messe. Et c'est là ce qui me plaît dans votre pièce. L'action même doit être sous-entendue...— Alors j'ai imaginé, reprenait Copeau, que tout pourrait se passer dans un même lieu, grâce à un récitant qui n'apporterait des faits eux-mêmes que le récit, que le reflet. Tout dans le même lieu : un temple, ou mieux : une cathédrale...Je me sentis perdu, car Ida et Stravinsky approuvaient à l'envi.— Mais, cher ami, tentai-je encore d'objecter : j'ai pourtant indiqué fort précisément, pour le premier acte : un rivage au bord de la mer...— Oui, c'est ce qu'indiquera le récitant.— C'est merveilleux, disait Ida.— Et le second acte, qui doit se jouer aux Enfers. Comment dans votre cathédrale...— Cher ami, nous avons la crypte, reprit Copeau avec une telle assurance que, le soir même, lâchant la partie, je m'embarquai pour Syracuse où retrouver le décor antique, celui précisément que je souhaitais. »
« [...] mon vieux, ils vont dire
la messe ! Et pas dans un temple grec ! », écrit alors à Jean
Schlumberger un Gide bien décidé à ne plus se mêler de Perséphone.
Et à ne pas même assister aux représentations : pour la première,
il est en voyage avec Elisabeth Van Rysselberghe dans le Tyrol italien, puis à
Londres au chevet de son ami Simon Bussy le soir de la deuxième.
Mais il a envoyé Maria Van Rysselberghe assister à la première et
il est de retour à Paris pour la troisième et dernière soirée...
« Il m'interroge sur la première de Perséphone. « Ennuyeux, n'est-ce pas ? Dit-il. Mais avouez que c'est la faute à Copeau. » Je suis bien de son avis! C'est la faute de Copeau, et d'Ida Rubinstein aussi, du reste; je ne défends pas ses vers, qui sont sans importance pour le spectacle, mais la présentation du mythe est charmante et pouvait donner des choses exquises de grâce sauvage et une telle variété de lumière et d'atmosphère pour souligner la musique qui m'a semblé fort belle, encore que j'aie mal saisi son rapport avec les paroles; au lieu de cela, il n'y a qu'un seul décor, beau du reste, grand, mais qui à mon avis n'a rien à voir avec l'adorable légende. Tout se passe dans une crypte d'une manière d'église romane, le récitant semble une statue d'évêque collée contre une colonne, Déméter une vierge florentine et le jeu d'Ida est sans variété, ni dans les gestes ni dans la voix; c'est hiératique et plein de tenue, et affreusement monotone; les costumes sont délicieux, trop distingués, ça manque terriblement de vent dans les cheveux. Il dit : « Je m'en doutais, j'ai vu cela du premier coup; inutile de lutter, j'étais seul contre trois; mais vous comprenez que je sois parti; je leur ai dit, en riant du reste : Je suis refait; je n'ai décidément pas de chance avec le théâtre, ceci va me sacrer une fois de plus auteur ennuyeux, et voilà. »[6]
La Petite Dame qui note encore, le 9
mai : « Il se demande s'il assistera à une représentation de
Perséphone (c'est aujourd'hui la dernière) ou s'il ira à une
grande réunion communiste. » Et le lendemain : « –
C'est à la réunion qu'il est allé, et il n'aura donc pas vu
Perséphone ! »[7] Dans une lettre Copeau, Gide se dit
terrifié « de devoir faire face aux compliments, sourire aux
gens du monde, repousser les interviewers ». Mais à Roger
Martin du Gard il donne une autre explication : « Il ne
m'a pas déplu de laisser comprendre à Ida que certaines choses me
paraissaient plus importantes que cette représentation. »[8]
Voilà ce qui explique la rancune de
Stravinsky, qui, s'il feint de n'avoir pas prêté attention à
l'absence de Gide aux représentations, absence très commentée à l'époque,
ne manque pas de lui décocher quelques dernières flèches dans ses
Souvenirs et commentaires :
« Il n'a pas assisté aux répétitions, et s'il était présent à l'une des représentations, je ne l'ai pas vu. Une de ses pièces fut jouée ensuite au Petit Théâtre des Champs-EIysées, mais cela n'a pas dû l'empêcher de venir écouter au moins une fois Perséphone. Peu de temps après la première il m'a envoyé une copie du livret nouvellement publié avec pour dédicace « en communion ». J'ai répondu que la « communion », c'est exactement ce qui nous a manqué ; sa dernière lettre est en réponse à cela.Nous ne nous sommes plus rencontrés après Perséphone, mais je ne pense que nous fussions vraiment en fâchés l'un contre l'autre. Et d'ailleurs comment pourrait-on être fâché longtemps avec un homme d'une telle honnêteté ? Si je pouvais faire la part entre le talent de Gide et son écriture, ce serait pour proclamer ma préférence pour cette seconde, bien que son écriture aussi soit de l'eau distillée. Je considère le Voyage au Congo comme le meilleur de ses livres, mais je reste insensible à son esprit autant qu'à son approche de la fiction : il n'était pas un créateur assez grand pour nous faire oublier les pêchés de sa nature – comme Tolstoï pouvait nous faire oublier les pêchés de sa nature. Cependant, comme il a rarement parlé de son travail avec moi, mes relations avec lui sont restées lisses à cet égard. »[1]
Dans Ainsi soit-il, Gide redira
pourtant son appréciation de la partition et promettra le succès
aux futurs metteurs en scène de Perséphone, pour peu qu'ils se
conforment aux didascalies gidiennes :
« Je crois que Stravinsky me pardonna mal de ne pas avoir assisté à la première exécution de sa très belle partition; mais c'était au-dessus de mes forces. La musique, je crois, fut applaudie; quant au sujet même du drame, le public n'y comprit rien, il va sans dire, et pour cause. Si jamais l'on s'avise de reprendre ce « ballet » (et la partition de Stravinsky mérite que l'on y revienne), je prie le metteur en scène de se conformer strictement aux indications que j'ai données. Si la voix de l'actrice porte un peu plus que ne fit celle de Rubinstein (laquelle, me dit-on, ne passait pas le septième rang de l'orchestre), je crois pouvoir répondre du succès. »
D'ailleurs Gide
continuera d'aimer et d'admirer la musique de Stravinsky. En juin
1945, alors que se prépare un festival Stravinski au Théâtre des
Champs-Elysées, il aidera la comédienne Claude Francis à répéter
pour ce concert. Auquel il assistera...
____________________
[1] Igor Stravinsky and Robert Craft,
Memories and Commentaries, University of California Press,
1981 (Je traduis cet extrait et les suivants)
[2] Maria
Van Rysselberghe, Cahiers de la Petite Dame,
vol. 2, Gallimard, Paris, p. 314)
[3] Ibid, p.328
[4] Igor Stravinsky and Robert Craft,
Dialogues, University of California Press, 1982, p.36. C'est
dans ces mêmes Dialogues avec Robert Craft que Stravinsky
finit par déclarer : « Gide était un anti-poète, je pense
que son anthologie le montre.
[5] Jean Claude : « Perséphone,
ou l'auteur trahi ? », in « Perséphone, ou l'auteur trahi ?
», in Ida Rubinstein. Une utopie de la synthèse des arts à
l'épreuve de la scène, Pascal Lecroart éd., Presses
Universitaires de Franche-Comté, 2008, pp. 213-233.
[6] Maria
Van Rysselberghe, Cahiers de la Petite Dame,
vol. 2, Gallimard, Paris, pp 376-377
[7] Ibid., p.379
[8] André Gide – Roger Martin du
Gard, Correspondance, t.1, p.612
mardi 22 mai 2012
Rencontre-débat autour de Malaquais
La Librairie Floury Frères et le collectif d'édition Smolny organisent une rencontre-débat avec Geneviève Nakach à l'occasion de la parution de sa biographie sur Jean Malaquais, Malaquais Rebelle (Cherche-Midi, 2011). Rendez-vous mercredi 23 mai à 18h, Librairie Floury Frères, 36, rue de la Colombette à Toulouse.
lundi 21 mai 2012
Gide et Stravinsky (1/2)
Trois Perséphone : à gauche Ida Rubinstein crée le rôle en 1934,
au centre Vera Zorina en 1982 à New-York (Photo de Steven Caras)
à droite Dominique Blanc en 2012 à Madrid (Photo Javier del Real)
Les critiques de la représentation de
Perséphone en janvier dernier au Théatre Royal de Madrid ont
été assez semblables à celles parues à sa création en 1934 : on s'y intéresse
surtout à la musique de Stravinsky, à la mise en scène et
finalement très peu au texte de Gide. Aussi son exclamation de 1934
reste terriblement d'actualité : « Je n'ai décidément pas de
chance avec le théâtre, ceci va me sacrer une fois de plus auteur
ennuyeux, et voilà. »[1]
Projet porté dès 1893, qui prend en
1896 le titre de Prospérine, c'est le compositeur Florent
Schmitt qui le relance en 1909, sans succès. Puis en 1933, Ida
Rubinstein, mécène, comédienne et danseuse, cherchant à porter à
la scène une nouvelle œuvre de Gide, conduit ce dernier à ressortir le
manuscrit de Perséphone de ses cartons : l'édition
critique de Patrick Pollard retrace très bien ces évolutions[2].
Quant aux échanges entre Gide et
Stravinsky, les lettres publiées d'abord en anglais[3] ont
fait l'objet d'une présentation en français commentée par Jean
Claude**** d'après les originaux conservés à la
Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet et à la Fondation Paul
Sacher, Fonds Stravinsky, à Bâle, complétée par des lettres entre
Jacques Copeau et Igor Stravinsky, quelques lettres ou télégrammes
d'Ida Rubinstein et des allusions à la Correspondance
Gide-Copeau.
Comme le montre très bien Jean Claude, à qui ce billet doit beaucoup et que je remercie pour son aide,
la pièce est conçue comme
un spectacle total qui emballe tout d'abord Gide, avant de se
compliquer pour finir par ne plus le concerner vraiment, au point
qu'il n'assistera même pas aux représentations qui
eurent lieu les 30 avril, 4 et 9 mai 1934. Qu'il se sente trahi, ou
plutôt dépossédé de son œuvre, n'est finalement qu'une chose
normale – et qu'il éprouvera à chaque tentative théâtrale :
« Il n'avait pas suffisamment conscience des aspects concrets qui entourent la création théâtrale, à plus forte raison la création d'un spectacle complexe faisant appel à tous les arts. Car avec Perséphone, il y avait bien tous les ingrédients d'un spectacle total. Mais trop de difficultés ont surgi pendant son élaboration. Le projet d'Ida Rubinstein était, à n'en pas douter, ambitieux. Il a manqué dans sa réalisation un climat de confiance, une organisation stricte voire autoritaire capable d'aplanir les divergences. »[4]
Si l'on en croit Igor Stravinsky c'est
chez la pianiste Misia Sert – ex-femme de Thadée Nathanson et à
l'époque encore celle d'Alfred Edwards puisqu'elle n'épousera le
peintre José-Maria Sert qu'en 1920, bien qu'elle fût sa maîtresse
depuis 1908 – que Gide et lui se croisent pour la première fois,
en 1910 :
« Nous nous sommes rencontrés pour la première fois en 1910, dans la chambre de Misia Sert à l'Hôtel Meurice. Je le connaissais de réputation, bien sûr : il était déjà un écrivain connu, même si sa gloire devait venir plus tard. Après cela, je l'ai revu de temps en temps aux représentations des ballets. »[5]
Igor Stravinsky et André Gide au Revenandray, été 1917
« Je le vois encore buvant du punch, couvert de manteaux et de châles malgré la chaleur,
jouant d'un orgue à bouche qu'il avait trouvé je ne sais où, et annonçant :
"Je vais vous jouer du Wagner...". Un peu plus tard il était photographié devant le chalet avec
André Gide, tenant avec lui une bouteille, et proclamant qu'elle symbolisait l’alliance franco-russe.»
(Rodolphe Faessler, Revue de Belles-Lettres, Lausanne, Juillet-août 1956)
jouant d'un orgue à bouche qu'il avait trouvé je ne sais où, et annonçant :
"Je vais vous jouer du Wagner...". Un peu plus tard il était photographié devant le chalet avec
André Gide, tenant avec lui une bouteille, et proclamant qu'elle symbolisait l’alliance franco-russe.»
(Rodolphe Faessler, Revue de Belles-Lettres, Lausanne, Juillet-août 1956)
C'est déjà Ida Rubinstein qui sollicite Gide au début de 1917. Il rencontre Stravinsky aux
Diablerets pour lui demander une musique pour Antoine et Cléopâtre. Une célèbre photographie les montre joueurs et
complices – la bouteille au second plan y est peut-être pour
quelque chose... ou l'état euphorique de Gide qui fait sa première escapade avec Marc Allégret ? – en Suisse, au Revenandray, le chalet des Bellettriens aux
Ormonts. Pourtant ils ne trouvent pas de terrain d'entente.
« Quelques mois après Le Sacre, Gide est venu me trouver avec un projet de composition d'une musique de scène pour sa traduction de Antoine et Cléopâtre. J'ai répondu que le style de musique dépendrait de celui de l'ensemble de la production, mais il ne comprenait pas ce que je voulais dire. Plus tard, lorsque j'ai suggéré des costumes modernes pour la pièce, il s'est montré choqué – et sourd à mes arguments selon lesquels nous serions plus près de Shakespeare en inventant quelque chose de neuf, plus près de lui en tout cas qu'il ne l'était, pour ce qui est de la vraisemblance, d'Antoine et Cléopâtre. »[6]
C'est finalement Florent
Schmitt qui signera la partition de cette pièce créée en 1920.Aussi quand Ida Rubinstein revient
proposer une nouvelle collaboration avec Stravinsky début 1933, Gide
déterre le manuscrit de Prospérine/Perséphone.
Devant Maria Van Rysselberghe, il joue les désabusés :
« Je ne sais plus comment j'ai été amené à lui dire que j'avais un petit ballet qui dormait depuis trente ans, Prospérine; elle a demandé à le voir, et la voilà qui s'emballe ! Elle voudrait décider Stravinsky à faire la musique, Sert les décors [...]. Moi ça m'est égal, je crois de moins en moins au théâtre, je n'y attache aucune importance, mais la tentative m'amuserait, ça me donnerait un mois de travail pour mettre la chose au point; peu de texte, du reste, des prétextes à gestes et à danses. »[7]
Mais les lettres
qu'il adresse aussitôt à Stravinsky montrent son enthousiasme pour
le projet, et dès le mois de février il part avec Ida Rubinstein
pour retrouver Stravinsky à Wiesbaden :
« Gide est venu à Wiesbaden pour me voir en 1933. Nous avons lu le texte original de sa Perséphone et avons tout de suite décidé du recours au récitant et du découpage en trois parties. Gide a reconstruit et réécrit le livret après cette rencontre. »[7]
Comme le souligne
Jean Claude, la présentation rétroactive des évènements par
Stravinsky, qui en voudra à Gide de n'avoir pas assisté aux représentations de Perséphone, est « pour le moins tendancieuse ». Disons même carrément froide et souvent revancharde. Le compositeur se montrait en réalité au moins aussi emballé que Gide. Même si l'on
apercevait déjà quelques pierres d'achoppement dans ce tandem que tout oppose, ainsi que le note la
Petite Dame :
« Bypeed me raconte que c'est d'enthousiasme que Stravinski a accepté de collaborer avec lui. Il disait : « J'admire surtout vos derniers écrits, comment appelez-vous ça... vous savez bien cette chose qui a une suite sur le mari... » Bypeed lui fournit L'Ecole des femmes. Il disait encore : « Je m'entends tout à fait avec vous, mais jamais je ne collaborerais avec Valéry, c'est un athée !!! » Bypeed, très amusé du malentendu, pense que la collaboration pourrait bien ne pas durer. »[8]
(à suivre)
____________________
[1] Maria Van Rysselberghe, Cahiers de
la Petite Dame, vol. 2, Gallimard, Paris, entrée du 3 mai 1934,
p. 377
[2] Patrick Pollard, André Gide,
Prospérine, Perséphone, édition critique, Lyon, Centre
d'Etudes Gidiennes, 1977
[3] Igor Stravinsky and Robert Craft,
Memories and Commentaries, Doubleday, 1960, repris par
University of California Press, 1981, Faber & Faber, 2002
(traduction française : Souvenirs et commentaires, Paris,
Gallimard, 1963) et Robert Craft, Igor Stravinsky, Selected
correspondance, vol. III, London and Boston, Faber and Faber,
1985
[4] Jean Claude, « Autour
de Perséphone », in BAAG n°73, janvier 1987, vol.XV,
XXe année, pp. 23-55.
[5] Jean Claude : « Perséphone,
ou l'auteur trahi ? », in « Perséphone, ou l'auteur trahi ?
», in Ida Rubinstein. Une utopie de la synthèse des arts à
l'épreuve de la scène, Pascal Lecroart éd., Presses
Universitaires de Franche-Comté, 2008, pp. 213-233.
[6] Igor Stravinsky and Robert
Craft, Memories and Commentaries, University of California
Press, 1981 (Je traduis cet extrait et les suivants).
[7] Maria Van
Rysselberghe, Cahiers de la Petite Dame, vol. 2, Gallimard,
Paris, p.283
[8] Ibid. p.285
vendredi 18 mai 2012
Der König Kandaules à Palerme
Der König
Kandaules, dans un décor impressionnant à Palerme
On se souvient qu'en début d'année,
c'est la Perséphone de Stravinsky sur un livret de Gide qui
était donnée au Théâtre Royal de Madrid. En Italie cette fois, le
Teatro Massimo de Palerme présente depuis mercredi Der König
Kandaules, opéra en trois actes d'Alexander Zemlinsky sur un
livret du compositeur d'après Le roi Candaule d'André Gide
traduit en allemand par Franz Blei.
Zemlinsky commence l'adaptation pour le
livret en 1935 à Vienne. La composition et l'orchestration
l'occuperont jusqu'à son départ pour les Etats-Unis en décembre
1938 et même jusqu'à sa mort. Mais Der König Kandaules
ne sera jamais monté aux Etats-Unis : le public y préférait des
œuvres plus faciles et la censure ne permettait pas de montrer la
scène du deuxième acte dans laquelle la reine Nyssia se
déshabillait complètement.
A sa mort en 1942, l'orchestration
n'est d'ailleurs pas totalement achevée. Ce n'est donc qu'en 1996
que l'œuvre fut créée au Staatsoper de Hambourg sous la direction
de Gerd Albrecht et avec une reconstruction de la partition et de
l'instrumentation par Anthony Beaumont. Elle est rejouée depuis
régulièrement : en 2002 au Festival de Salzbourg ou en 2006 dans
une coproduction de l'Opéra Royal de Wallonie et de l'Opéra de
Nancy avec une version transposée dans un palace des années 20 par
le metteur en scène Jean-Claude Berutti.
Du 16 au 22 mai au Teatro Massimo de
Palerme, Der König Kandaules est
créé pour la première fois en Italie sous la direction de Asher
Fisch et Francesco Cilluffo (le 22mai), dans une mise en scène et un
décor très spectaculaire de Manfred Schweigkofler et Angelo Canu,
des costumes de Mateja Benedetti et des lumières de Claudio Schmid.
König Kandaules : Peter
Svensson/Michael Baba
Gyges : Kay Stiefermann/Peter Edelmann
Nyssia : Nicola Beller Carbone/Stefanie
Iranyi
Phedros : Nicolò Ceriani
Syphax : Cristiano Olivieri
Nicomedes : Paolo Orecchia
Pharnaces : Jeremy Milner
Philebos : Matias Tosi
Simias : Alex Wawiloff
Sebas : Giulio Pelligra
Archelaos : Alexey Birkus
Der Koch : Ventseslav Anastasov
Et l'Orchestra del Teatro Massimo
mercredi 16 mai 2012
The Perennial Youth of André Gide, par Justin O'Brien
The Saturday Review of Litterature
"with a french accent" (31 mars 1951)
Dans une pile de The Saturday Review
of Litterature, revue américaine parue entre 1924 et le début
des années 80, un numéro « frenchy » attire notre
attention : alors qu'on y voit en couverture un vieil homme portant
lorgnon, canne et melon se pencher sur les boites des quais, le titre
dans l'angle annonce « The Perennial Youth of André Gide »,
par Justin O'Brien. Ouvrant ce numéro du 31 mars 1951, l'éditeur du
Journal en anglais rend hommage à Gide en donnant en
avant-première la préface au 4e volume à paraître à l'époque.
In a stack of The
Saturday Review of Literature, an American
magazine published between 1924 and the early 80s, a "Frenchy"
issue attracts our attention : the cover shows an old man with
monocle, stick and bowler hat who is looking in the boxes of parisian
booksellers. And a title announces "The Perennial Youth of Andre
Gide," by Justin O'Brien. Opening this issue of March 31, 1951,
the translator and editor of the Journals
honors Gide with a preview of his preface to the fourth volume that
is about to be published.
(clic gauche pour afficher le diaporama puis
clic droit et "afficher l'image" pour les agrandir)
clic droit et "afficher l'image" pour les agrandir)
The Perennial Youth of André Gide
Justin O'Brien
« I HEARTILY scorn," André
Gide wrote at the age of sixty-one in his "Journal" for
January 1931, "that sort of wisdom that is attained only through
cooling off or lassitude." We must not then expect to find him
even twenty years later, soothing himself or his reader with the
maxims of senility. In the fourth volume of his "Journals,"
written between his seventieth year and his eightieth, his mind had
lost neither its incisive vigor nor its vital warmth. We find the
same disciplined intelligence freely expressing itself, equally
removed from facility and dryness, in a constantly maturing thought
which is as far from smugness as it is from feverish restlessness.
Ever in contact with life, that intelligence maintained a perpetual
ardor—the hard, gemlike jerveur which his "Fruits of the
Earth" extolled over fifty years ago. This was doubtless the
secret of Gide's perennial youth and of his undiminished favor with
the young.
Rich with the lessons of experience, a
man in his eighth decade must of necessity take many a backward
glance. The Second World War naturally suggested parallels with the
First one; voluntary exile from France and loved ones recalled the
past and even the dead. Problems encountered in writing and fresh
attacks launched by his enemies caused him to review his judgments of
earlier works: in 1942, for instance, and again in 1946 he
reconsidered the significance, effectiveness, and artistic
achievement of his "Corydon" and again returned to that
book through an interviewer's indiscreet question at the time of the
Nobel Prize Award. Several times he turned back to the period of his
flirtation with Communism, the better to define the misunderstanding
which led to his position of the early Thirties. And the postwar
emphasis, largely among the existentialists, on the necessity of committing oneself and
writing a "litterature engagée" led him to
re-examine his past commitments and eventually to issue in 1950 under
the ironic title of "Litterature engagée" a collection of
his tendentious and polemical writings, all of which he considered as
extra-literary. Indeed, he had already noted in mid 1940: "The
social question! ... If I had encountered that great trap at the
beginning of my career I should never have written anything
worthwhile."
But, like his own Theseus venturing
into the unknown while unwinding his link with the past and tradition
in the form of Ariadne's thread, Andre Gide found it more natural to
look forward. Even in the early stages of the war he foresaw with
remarkable clarity the postwar plight of France; elsewhere he
reflected on the literature and art of the future. Despite his
extensive travels and those he undertook the moment Tunis was
liberated, he deplored the fact that the map was still studded with
territories unknown to him. Finally, but without dread or false
solemnity, he frequently meditated on death and the possibility of an
after-life. Some of the finest pages of this latest "Journal"
in fact, reflect a serene contemplation of his own—of
everyman's—future.
Nothing was perhaps more characteristic
of Andre Gide than this consistently healthy forward-looking
attitude. Not altogether lightly he early identified himself with
Prometheus, who revolted against the gods and communicated to man
"the devouring belief in' progress." That active belief
never left him. Recognizing his inaptitude for contemplative
stagnation, he could state at seventy-three that "real old age
would be giving up hope of progress." Thus it is that, smiling
at his impulse to improve himself so late in life, he continued the
study of German, exercised his memory by learning hundreds of lines
of French verse by heart, and, rediscovering Virgil, devoted three or
four hours a day to the arduous and
delightful deciphering of Latin. His mind always open and alert, he
reread the French classics and Shakespeare and Goethe and Euripides,
often revising his impressions with startling results. Leaving the
main highway, he explored such diverse writers as Cyril Tourneur,
Eichendorflf, Grimmelshausen, James Hogg, Dashiell Hammett, Pearl
Buck, Jorge Amado, and Ernst Junger. In his eightieth year we find
him discussing the latest volume by Sartre, catching up on the
contemporary dramatists, disputing with Koestler and James Burnham.
Simultaneously he could become captivated, as in the past, by a new
treatise on radioactivity, a study of the metamorphoses of sea
animals, a history of Moslem customs, or a revolutionary approach to surgery. A lively curiosity
was always one of his dominant characteristics.
SINCE the fourth volume of the
"Journals" covers the period of the Second World War the
reader might justly expect conflict and the occupation of France to
play a large part in Andre Gide's reflections from day to day. In the
beginning, however, he deliberately planned to omit events, noting
that thought was most valid when it could not be modified by
circumstances. In September 1940 he reflected that "the number
of stupidities an intelligent person can say in a day is not
believable. And I should probably say just as many as others if I
were not more often silent." In contrast to the invasion of the
timely, to the anguish resulting from current events, there is always
the timeless, to be found in the classics of art and literature. In
an article dated 1936 he had written: "I have a great need to
maintain in myself the feeling of permanence; I mean a need of
feeling that there are human products that are invulnerable to
insults and degradation, works on which temporal changes have no influence."
But viewed without perspective the
timeless often appears to be merely the untimely; to some it may seem
shocking that only a month after the French defeat of 1940 Gide could
momentarily forget his country's tribulation by reading Goethe in the
original. Throughout the "Journals," to be sure, from 1889 to 1949 thoughts out
of season abound: Unzeitgemdsse Betrachtungen, to borrow from
Nietzsche a title that Gide obviously liked. Almost equally frequent
are statements to the effect that the artist is "out
of harmony with his time" and that this constitutes his raison
d'etre: "He counteracts; he initiates. And this is partly why he
is so often understood at first by but a few" (July 6, 1937).
Yet, whether in the south of France for
the first two and a half years of the war or in North Africa for the
duration, Gide was unable to maintain such an ideal aloofness. Never
do his "Journals" come so close to journalism ("I call
'journalism' everything that will be less interesting tomorrow than
today," he wrote in 1921) as during the long siege of Tunis in
1942-43. There we have a marginal history of events recorded by an
eyewitness whose vision was necessarily limited, a sort of "Journal
of the Plague Year" with all the dispassionate, flat reportage
of Defoe's document. There is a fascination for us who were on the
outside in sharing the intimate feelings of a particularly sensitive
person on the inside of the vast concentration camp set up by Hitler.
Despite Gide's effort to heighten and enliven that account by a
running description of the child Victor, a portable microcosm of all
that was distasteful in the world around him, nonetheless this is the
part of the "Journals" that will doubtless age least well.
Several times in recent years Andre Gide had expressed the desire for
simultaneous publication of those pages in French and English, in the
naive hope, unshared by his French publisher, that such a delicate
attention would somewhat mitigate the sting of his remarks about the
American forces in Tunisia. But Americans are hardly so susceptible
as not to appreciate such frankness; the men who took part in the
North African campaign should be interested in the way they looked to
"those they were about to liberate, especially since that view
changed so drastically upon contact. During the decade from 1939 to
1949 Andre Gide's creative activity did not slacken, for he wrote (in
addition to this volume of the "Journal") the "Imaginary
Interviews," a play entitled "Robert ou l'intérêt
général," a book on Paul Valery, "Autumn Leaves,"
and "Theseus", which last should come to be considered as
one of his major works. Meanwhile he finished his inspired
translation of "Hamlet," compiled an "Anthology of
French Poetry," wrote several prefaces including that for the
collected edition of Goethe's drama, and with Jean-Louis Barrault
adapted to the stage Kafka's "The Trial"—besides working
on still unrealized film-scenarios of his novels "Isabelle"
and "Les Caves du Vatican." One of the last entries in the
latest volume of his "Journal" (June 4, 1949) states: "Some
days it seems to me that if I had at hand a good pen, good ink, and
good paper I should without difficulty write a masterpiece." An
index of Gide's continuing vitality can be found as readily in the
attacks directed against him as in his own production. Throughout his
long career he had been the object of frequent, often savage,
assaults. If they are remembered at all in literary history, some of
his accusers — such as Henri Beraud, Jean de Gourmont, Rene
Johannet, Camille Mauclair, Eugene Montfort, and Victor Poucel—will
receive mention only for the crude shafts they aimed at Gide. Others
like Francis Jammes and Henri Massis have sullied their reputations
by contributing to the picturesque and fanciful Gide legend.
DESPITE the intention of such critics,
they did not bury their enemy very deep. During and after the recent
war the weight of his years did not keep him from serving frequently
again as whipping-boy. As early as July 1940 an anonymous journalist
in Le Temps accused him of exerting a baneful influence on
youth and contributing to the forming of a "deliquescent
generation." A year later in California Fernand Baldensperger
blamed the French defeat on such demoralizers as Gide, Proust, et al.
In January 1942 Rene Gillouin echoed in Geneva an unfounded
accusation of Gide's having led a susceptible young reader to
suicide. Hardly had Paris been liberated than Louis Aragon, the
literary spokesman of the French Communist Party, which could not
forget Gide's return from Moscow, repeated the charge of
anti-patriotism and defeatism made in the Provisional Consultative
Assembly in Algiers by a certain Giovoni. Soon thereafter Julien
Benda and Edmond Buchet separately accused Gide of
anti-intellectualism and Alexandrinism, somewhat as Arthur Koestler
was to do in English. Probably the most categoric crushing of Gide
was found in an interview with the Catholic poet Paul Claudel, a
contemporary and early friend, published in March 1947. "From
the artistic point of view, from the intellectual point of view, Gide
is worthless," said Claudel. Gide himself was more equitable
toward his former friend, for in February 1943 he noted in the
"Journal":
There is and always will be in France (except under the urgent threat of a common danger) divisions and parties; in other words, dialogue. Thanks to that, the fine equilibrium of our culture: equilibrium in diversity. Always a Montaigne opposite a Pascal; and, in our time, opposite a Claudel, a Valery. At times one of the two voices prevails in strength and magnificence. But woe to the times when the other is reduced to silence! The free mind has the superiority of not wanting to be alone in enjoying the right to speak.
If there could have been any doubt
before, there can surely no longer be any since the publication in
1949 of the correspondence between Claudel and Gide that to the world
at large the name of Paul Valery was less appropriate in the above
passage than would have been that of Andre Gide.
Another important Catholic writer,
François Mauriac, who never ceased to admire and to acknowledge his
debt to Gide, seems to have recognized this when, writing in Le
Figaro about certain pages detached from the latest "Journal,"
he finds Gide's thought "serenely aggressive as on his finest
days" and regrets that "this elderly Faust, who is so dear
to us, should fix himself permanently in the definitive affirmation
that man must be put in the place of God."
Coming from the pen of Mauriac the
expression "serenely aggressive" is most appropriate. In
his eighth decade Andre Gide had achieved a measure of serenity,
manifest in his "Theseus" and "Autumn Leaves" as
well as in his "Journal." One thinks of the Olympian
serenity of Goethe, Gide's lifelong companion, and notes with
pleasure that during the ten years covered by this volume Gide reread
both the "Conversations with Eckermann" and Boswell's "Life
of Samuel Johnson," as if recognizing the company in which he
belongs. In fact, the complete "Journals," representing
sixty years of a varied life, form one prolonged, intimate
conversation, a single, often interrupted dialogue of the author with
himself. Such a document precludes the necessity of any other
interlocutor; after all, Montaigne had neither Boswell nor Eckermann.
The serenity to which Gide attained was that of a dynamic equilibrium
between opposing tendencies within him, the classic balance toward
which he had tended ever since youth. Yet there was nothing static
about this condition; as he noted in the "Journal": "The
sole art that suits me is that which, rising from unrest, tends
toward serenity."
On the last page of the most recent
instalment of his "Journals" Andre Gide had scribbled a
note implying that he had forever ceased to keep a journal. Since
this was in fact the end of his long and rich self-scrutiny, the
final distilation of his reflections on man and the universe, what
definitive revelation or ultimate message does it contain for his
readers? Those who followed him this far knew him better than to
expect such a thing or be surprised by his note of December 15, 1948:
"Last words ... I do not see why one should try to pronounce
them louder than the others. At least I do not feel the need of doing
so."
Justin O'Brien is professor of
French at Columbia University. This essay will form the introduction
to his edition of the fourth volume of Gide's "Journals"
which will be published, by Alfred A. Knopf on April 9.
________________________________
* « Je méprise de tout mon
cœur cette sorte de sagesse à laquelle on ne parvient que par
refroidissement ou lassitude. »
vendredi 11 mai 2012
Gide en ro ro ro
(Un jeu lancé aux membres du groupe Facebook d'e-gide a donné lieu ces derniers jours à une petite enquête : l'occasion d'un billet qui évoque tout à la fois les œuvres de Gide et l'histoire de l'édition, comme on aime en faire de temps en temps...)
Die Verliese des Vatikan, ro ro ro, 1955
Cet exemplaire des Caves du Vatican paru en 1955 en Allemagne aux éditions Rowohlt fait partie de la collection ro ro ro comme indiqué sur son dos et sa première de couverture. Mais il n'est par un ro ro ro. Alors ? Qu'est-ce qu'un ro ro ro ?
En effet, le premier ro ro ro des Caves du Vatican n'était pas au format de poche comme l'exemplaire de 1955, mais au "Zeitungformat", au format journal, puisque c'est là tout le principe des ro ro ro, pour Rowohlt Rotations Roman : des livres imprimés par des rotatives comme des journaux, au format 38 x 28 cm.
Die Verliese des Vatikan, ro ro ro, 1947
Le germaniste Michel Tournier explique très bien ce qu'étaient les ro ro ro dans son Journal extime :
« Souvenir de Tübingen. Les Rororo. Tout manquait en ces années d'immédiat après-guerre, y compris le papier pour faire des livres. Le rare papier disponible était réservé à la presse écrite afin que le bon peuple soit renseigné sur les événements et aussi ait connaissance des tickets d'alimentation honorés ce jour-là.
C'est alors que les éditions Rowohlt ont réalisé une idée qu'il faut vraiment qualifier de géniale : le rororo. Il s'agissait d'un journal, imprimé sur rotative, ayant l'aspect exact de Die Welt, Le Figaro ou Le Monde, mais s'intitulant Les Caves du Vatican d'André Gide, Anna Karénine de Tolstoï ou La Mort à Venise de Thomas Mann. C'était le Rowohlt-Rotations-Roman (roman Rowohlt imprimé sur rotative) et cela coûtait 1 DM. Le petit miracle qui permettait cette réalisation, c'est qu'un roman contient un nombre de signes imprimés (lettres, blancs et signes de ponctuation) à peu près équivalent à celui d'un journal ordinaire, c'est-à-dire variant entre 500000 et 2000000. Il serait juste qu'un musée du livre et de la culture montre quelques exemplaires de ces « rororo ». »
(Michel Tournier, Journal extime, Folio, Gallimard, 2004, pp.
224-225)
On pourra également se reporter aux notices descriptives (en allemand) données en lien sous les images, qui reprennent non seulement les textes de présentation mais aussi l'avis au lecteur de 1947... Elles proviennent d'un site remarquablement fait et qui retrace l'histoire du ro ro ro au format journal puis au format poche : www.lewin-fischer.de
jeudi 10 mai 2012
Gide et Camus chez Onfray
Samedi 12 mai 2012, l’Université Populaire du Goût d’Argentan, à l’invitation de Michel Onfray, son créateur,
rend hommage à Albert Camus, avec Pierre Gagnaire aux fourneaux. La journée s'ouvre par une conférence évoquant les liens entre Gide et Camus.
Programme :
14h à 15h Evelyne Bloch-Dano “Un contemporain de Camus : André Gide, l’amateur de roses…”
15h15 à 16h Concert
15h à 16h Goûter philosophique “le bien, le mal”, Edwige Chirouter.
16h15 à 17h30 Présentation et dégustation de Champagne
17h30 à 19h00 Démonstration culinaire avec Pierre Gagnaire accompagné de Hervé This
19h15 à 20h30 Repas Arnaud Viel Dominique Tulane
20h30 à 22h30 Conférence sur Camus de Michel Onfray avec la participation de Catherine Camus.
Plus d'informations sur le site de l'UPA.
rend hommage à Albert Camus, avec Pierre Gagnaire aux fourneaux. La journée s'ouvre par une conférence évoquant les liens entre Gide et Camus.
Programme :
14h à 15h Evelyne Bloch-Dano “Un contemporain de Camus : André Gide, l’amateur de roses…”
15h15 à 16h Concert
15h à 16h Goûter philosophique “le bien, le mal”, Edwige Chirouter.
16h15 à 17h30 Présentation et dégustation de Champagne
17h30 à 19h00 Démonstration culinaire avec Pierre Gagnaire accompagné de Hervé This
19h15 à 20h30 Repas Arnaud Viel Dominique Tulane
20h30 à 22h30 Conférence sur Camus de Michel Onfray avec la participation de Catherine Camus.
Plus d'informations sur le site de l'UPA.
lundi 7 mai 2012
Quelques curiosités en vente
Quelques curiosités à signaler dans
la vente de livres et manuscrits (deuxième session des livres
modernes) du 16 mai prochain à Artcurial :
Lot 193B
La vie commence demain
1949. Affiche lithographiée, Gaillard,
160 x 120 cm. Graphisme D. Olere. Étonnant documentaire de Nicole
Vedrès plus ou moins romancé mettant en vedette Jean-Pierre Aumont
(l'homme d'aujourd'hui) qui guide André Labarthe (l'homme de demain)
dans une suite de discussions avec des personnalités qui jouent leur
propre rôle : Le Corbusier (en architecte), André Gide (en
écrivain), Pablo Picasso (en artiste), Jean Rostand (en biologiste)
et Jean-Paul Sartre (en existentialiste). Musique de Darius Milhaud.
Sortie du film le 15 sept. 1950.
Estimation 800 - 1 000 €
Lot 252
FEUILLETS D'ART
Collection complète en tirage de luxe
Feuillets d'art. Recueil de littérature
et d'art contemporain. Paris, Lucien Vogel, 1919-1922. Rare et très
belle collection complète de 12 fascicules en ff. : 6 fasc. gr. in-4
(mai 1919-juill. 1920), couvertures à doubles rabats avec liens et 6
fasc. in-8 (oct. 1921-oct.), sous couverture illustrée à rabats.
Avec au n°3 de la 2e série des textes
de Tagore traduits par Gide.
Estimation 1 500 - 1 800 €
Lot 437
Georges SIMENON
Correspondance inédite à un fidèle
lecteur, 1979-1987
13 l.t.s. (12 in-8,1 in-4) et 4 l.a.s.
in-8 (total 19 p.), 15 cartes de correspondance (8 t.s., 7 a.s.), 8
cartes de vœux s., 6 photographies signées, 1 coupure de presse
signée. Total de 47 documents a.s. ou s. Enveloppes conservées.
Plusieurs évocations de Gide :
- 25 juin 1981 : « J'ai peu
fréquenté les écrivains et à plus forte raison les romanciers car
je n'ai jamais aimé les cocktails littéraires ni appartenu à des
groupes du même nom. J'ai été fort surpris un jour d'apprendre que
Gide désirait faire ma connaissance. Je l'ai donc rencontré. Il m'a
beaucoup questionné. Nous nous sommes revus par la suite et avons eu
une assez bonne correspondance car il ne cessait de m'écrire pour me
poser de nouvelles questions. Lui et moi étions à des pôles
opposés. C'était un moraliste et un styliste. Je crois que ce qui
l'intéressait en moi c'était le romancier si je puis dire à l'état
brut, c'est-à-dire écrivant poussé par l'instinct et non par
l'intelligence des soucis de forme. […] Ne pas oublier qu'à cette
époque André Gide était une sorte de pontife de la littérature
française, ce qui vous explique mon ton respectueux à son égard.
Je l'ai très peu lu. »
Estimation 25 000 - 30 000 €
Lot 443
Plusieurs lettres et papiers
d'écrivains dont :
Nina BERBEROVA : 1 P.A.S., in-16,1989,
encre verte. Les écrivains qui comptent pour elle : Gide, Tchékhov,
Proust, Stendhal...
Exposition
du 12 au 14 mai, de 11h à 19h
15 mai, de 11h à 17h
Artcurial
7 rond-point des Champs-Élysées
75008 Paris
mardi 1 mai 2012
Trois rendez-vous en mai
A partir d'aujourd'hui, Yann Moix inaugure pour la revue La Règle du Jeu une série de six entretiens filmés avec Frank Lestringant, auteur de la biographie Gide l'inquiéteur (Flammarion) dont le premier tome est paru en février de l'année dernière, et dont le second tome devrait paraître à la fin de l'année. Présentation de la revue :
Gide revient !
André Gide n’est pas mort. Il a du mal à mourir, depuis le temps que tout voudrait l’enterrer. Il est là, pourtant : contradictoire, plus fou qu’on ne le croie, et surtout plus actuel qu’on ne l’imagine. On l’avait cru enfermé dans le 19ème siècle. Le 21e lui va à ravir. Paradoxe ? Yann Moix et Franck Lestringant interrogent ce phénomène.
Le premier épisode est consacré à l’enfance de Gide à Paris, près du jardin du Luxembourg, à sa relation avec sa mère Juliette Rondeaux, à son homosexualité naissante ainsi qu’à ses “mauvaises habitudes” et à ses racines protestantes.
A partir d'aujourd'hui également et jusqu'au 27 juin, le Théâtre du Nord-Ouest, 13, rue du Faubourg Montmartre à Paris présente la pièce L'ombre d'Oscar Wilde, de Lou Ferreira, philosophe, dramaturge et présidente du cercle Esthétique et Philosophique Wildien. Ou comment Octave et Alice Mirbeau reçoivent Frank Harris, Laurent Taillhade, André Gide, Jules Renard, Edmond de Goncourt et Rachilde pour organiser la défense de l'accusé Oscar Wilde... Plus d'information sur la page Facebook de la pièce et réservations.
Frank Lestringant, encore et toujours lui, sera enfin vendredi 11 mai à 18h30 à la Médiathèque d'Alès pour une conférence sur le thème "Gide et ses racines protestantes", en partenariat avec la librairie Jean Calvin. Présentation :
"À Maurice Barrès, le chantre de l’enracinement, Gide répliquait ironiquement : « Né à Paris, d’un père uzétien et d’une mère normande, où voulez-vous, monsieur Barrès, que je m’enracine[1] ? » En vérité, par tous ses ascendants, Gide plongeait ses racines dans le protestantisme : les Rondeaux, du côté maternel, une dynastie normande de marchands et de filateurs ; les Gide du côté paternel, descendants d’un Piémontais émigré en Languedoc au XVIe siècle. Parmi les grandes figures de la famille, on peut mentionner Tancrède Gide, le grand-père d’André, président du tribunal d’Uzès pendant vingt-neuf ans, et Paul Gide, son père, professeur à la Faculté de droit de Paris et spécialiste de droit romain, qui s’était adonné par goût à l’étude du droit comparé. Son domaine de spécialité le portait vers le droit de la famille. À cette lignée de juristes, il faut encore ajouter l’économiste Charles Gide, « l’oncle Charles », qui fut, après la mort de Paul, le tuteur d’André. Charles Gide, qui fut professeur au Collège de France et un ardent deyfusard, admira, bien avant son neveu, la Russie des Soviets et l’y précéda d’une quinzaine d’années.
Protestant malgré tout
Publiée en 1919, La Symphonie pastorale , le récit le plus célèbre de Gide, apparut à certains comme un reniement du protestantisme. L’histoire, comme on sait, se présente sous la forme d’un journal que tient le pasteur de La Brévine, village pauvre et glacial du Jura suisse. Lors d’une de ses tournées, en plein hiver, le pasteur recueille une jeune fille misérable, aveugle de naissance et orpheline, une enfant sauvage dont il entreprend tout à la fois l’éducation et la formation spirituelle. Ses efforts sont bientôt couronnés de succès. Mais la tendre affection que lui porte son père adoptif change de nature, sans que lui-même ni la jeune fille, Gertrude, ne se rendent compte de leur attachement amoureux[2]. Amélie, la femme du pasteur, et Jacques, son fils, ne sont nullement dupes quant à eux. Non sans pharisaïsme, le pasteur se défend contre l’argumentation de Jacques, et oppose à la loi morale dictée par saint Paul, le fondateur de l’Église chrétienne, la loi d’amour professée par Jésus, cette loi de liberté et de joie qu’il prétend suivre aveuglément.
On reconnaît ici un thème cher à Gide, qu’il projetait de développer dans un essai intitulé Le Christianisme contre le Christ qui le hanta pendant plus de vingt ans et qu’il ne devait jamais écrire. Dans ce livre, il entendait montrer comment, successivement, catholicisme et protestantisme avaient trahi le message de Jésus. Formules extensives à l’origine, puis devenues effroyablement restrictives, les deux Églises avaient substitué aux paroles émancipatrices du Christ un devoir écrasant, un joug insupportable. Gide se sentait vocation à dénoncer cette double imposture et ce scandale. C’est ainsi à peu près qu’il se voyait dans ses moments d’exaltation : il était le prophète et le Christ d’une nouvelle annonce, le héraut d’une bonne nouvelle qui libèrerait l’humanité de la servitude éternelle.
Voici ce qu’écrivait en 1910 dans son Journal ce protestant de culture et de réflexe, ce protestant malgré tout : « Mais mon christianisme ne relève que du Christ. Entre lui et moi, je tiens Calvin ou saint Paul pour deux écrans également néfastes. Ah ! si le protestantisme avait aussitôt su rejeter saint Paul ! Mais c’est à saint Paul, non au Christ, que précisément Calvin s’apparente »[3]. L’année suivante, en 1911, il revenait sur cette idée : « Qu’il ait nom saint Paul, Luther, Calvin, je sens à travers lui toute la vérité de Dieu se ternir »[4].
Frank LESTRINGANT, professeur à l' Université de Paris-Sorbonne.----------------------------------------
[1] André Gide, « À propos des Déracinés de Maurice Barrès », Essais critiques , éd. Pierre Masson, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, p. 4.
[2] La meilleure exégèse est celle d’Isabelle Cani, « Le pasteur réformé, figure de l'impossibilité d'être chrétien. En relisant La Symphonie pastorale de Gide », Foi & Vie , hiver 2007, n° 1, mars 2007, p. 34-51.
[3] André Gide, Journal , t. I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1996, p. 637.
[4] André Gide, Journal , t. I, p. 687 : « Feuillets » de l’année 1911."
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