lundi 10 juin 2013

Correspondance avec Alberti



 
Six lettres et une carte postale d'André Gide à Guglielmo degli Alberti seront proposées mardi 18juin à l'Hôtel des Ventes de Genève.


Guglielmo Alberti, de son nom complet Guglielmo Mori Ubaldini degli Alberti La Marmora, est né en 1900 à Turin. Alors qu'il suit des études de droit, il rencontre en 1922 les jeunes intellectuels turinois à l'origine de la « Rivoluzione liberale » : Piero Gobetti, Alexandre Passerin d'Entrèves, ou encore Giacomo Debenedetti, traducteur de Proust en Italie et fondateur de la revue littéraire Primo Tempo, à laquelle collaborera Alberti.

A partir de 1923, il travaille aussi pour le cinéma. En 1926 paraît son roman Oreste. Cronache di moralità provvisoria a cura di Pilade (Le edizioni del Baretti, Torino). Il s'exile en Suisse entre 43 et 45 où il continue de participer au mouvement antifasciste. Après la guerre, il s'installe avec sa femme et ses enfants à Florence où il écrira pour différents journaux et magazines jusqu'à sa mort en 1964.

Les lettres de cette vente en Suisse font le pendant des six lettres d'Alberti à Gide, conservées à la Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet sous la cote Gamma 38 (1-6). Les deux hommes sont en contact dès 1923 : Alberti voulait écrire un article sur Gide pour la revue Primo Tempo et Gide répond à ses questions sur ses premiers livres - c'est la lettre la plus intéressante. Ils se rencontreront en août 1923 à Pontigny, avec la prolongation à Paris signalée par la Petite Dame. Les dernières lettres d'Alberti à Gide datent de 1929.


 


"26 février [1923]                                             Hôtel de Savoie
                                                                        Annecy
                                                                        Haute Savoie


Monsieur,

C'est à Annecy que je reçois votre lettre ; et j'étais à Turin avant hier ! Si j'avais su... Quel plaisir j'aurais pris à vous voir !
Les Poésies d'André Walter ont été rééditées dernièrement par la Nouvelle Revue Française, dans une petite édition (« une œuvre, un portrait ») qui ne doit pas encore être épuisée.
Les Cahiers d'André Walter sont introuvables et les prix atteints aux dernières ventes sont fantastiques. C'est une œuvre vraiment « posthume », ou peut-être un habile critique peut reconnaître bien des défauts que j'ai su développer plus tard... mais il me semble que vous pouvez passer outre sans que doive en souffrir l'étude dont vous me parlez et que je me réjouis de lire dans cette revue, pour laquelle je vous envoie ici tous mes vœux.
Quant aux conférences sur Dostoïevsky, parues dans la Revue Hebdomadaire (N° du 7 janvier et les suivants) – elles vont prochainement être donnée en volume. Elles furent pour moi un prétexte à exposer bien des idées que je considère comme des plus importantes.
Si le Grain ne meurt a paru dans la NRF (d'importants fragments du moins) à des intervalles irréguliers. N'étant pas à Paris il ne m'est pas possible de vous indiquer à [mot illisible] les dates ; mais ces fragments sont reproduits presque en entier dans le volume de pages choisies pour la jeunesse donné l'an dernier par Crès. (Rien à voir avec mes « pages choisies » de la Nouvelle Revue Française) -
Veuillez croire, cher Monsieur, à l'assurance de mes sentiments bien cordiaux.
André Gide"

***


[sur un papier à en-tête de l'Hôtel Lutetia barrée]
"22 oct. 23

Qu'aurez-vous pu penser de mon silence ?.. Puisse-t-il ne vous avoir point trop attristé ! – Certainement quelque malin démon se joue de nous et veut nous empêcher de nous joindre. Il vous souvient (et votre lettre le rappelle) de combien peu je vous manquais, lors de mon passage à Turin... Voici votre lettre du 4 sept. Je la retrouve enfin, hier, de retour à Paris où je l'avais laissée par mégarde dans la poche d'un pardessus. Combien je me désolai, sitôt ensuite de n'avoir pas tout au moins relevé votre adresse... Non : le démon avait coupé les ponts ; je ne pouvais plus vous atteindre, ni même vous faire connaître combien votre lettre m'avait touché. – Et maintenant encore je tremble : cette adresse d'Arezzo, n'est-ce pas celle d'une résidence d'été ? Va-t-on faire suivre cette lettre à Turin, ou ailleurs ? A votre tour veuillez me rassurez. Et ne prenez point note de l'adresse de cet hôtel où je suis descendu pour quelques jours : mon adresse permanente est à la N.R.F. 3 rue de Grenelle Paris VIe d'où l'on me fera suivre mon courrier à Cuverville, où je pense rejoindre ma femme dans quelques jours, ou ailleurs...
Je vous serre bien affectueusement la main.
J'espère bien le faire un jour, et prochain, d'une manière moins mystique.

André Gide"

***
 
 


[carte postale]

"5 janv. 24

Cher Monsieur et ami,

Ni oubli, ni indifférence, ni froideur... mais travail = silence.
Je me suis plongé dans l'élaboration d'un livre plus important que tous ceux que j'ai écrits jusqu'à ce jour et qui exige de moi la plus grande contention d'esprit.
Si je m'en distrais, au printemps, par besoin de repos, je serais extrêmement heureux de vous voir. Je ne puis pourtant vous promettre ma visite, car il est possible que je m'embarque pour le Maroc.
Je vous envoie tous mes vœux – et vous prie de me croire – bien amicalement déjà – votre
André Gide"

***

"2 novembre 1924                                               Cuverville en Caux
                                                                           Seine Inférieure

Mon cher Alberti

Vous m'avez écrit, à la fin de septembre, une lettre exquise, à laquelle je m'étais promis de répondre. Et je crains que mon long silence ne vous ait un peu attristé. Je vous supplie de ne pas m'en vouloir. Déplacements, occupations de toutes sortes, travail enfin, m'ont détourné de la correspondance. Je pensais partir au commencement de ce mois pour un aventureux voyage au Congo ; c'est partie remise en juillet prochain ; diverses considérations m'ont amené à différer mon départ. Et voici qui me donne quelque espoir de vous revoir peut-être au printemps prochain si je me décide gagner pour un temps l'Italie. Je ne manquerai pas, dans ce cas, de vous en avertir, car j'ai gardé de nos conversations, si imparfaites fussent-elles encore, le souvenir le meilleur et le plus attendri. Et j'ai la certitude que les suivantes seraient plus fortifiantes et fructueuses.
Le doute constant de vous-même, dont vous me parliez, et que moi aussi, croyez-le bien, j'ai pu connaître, a-t-il enfin cédé à un plus amoureux abandon ? Aux choses, aux êtres, à la vie...
Combien je le souhaite ! Et que vous cessiez d'être habile à empêcher votre bonheur.
Au revoir. Croyez, malgré mon long silence, à mon sentiment bien affectueusement fidèle.
André Gide"

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"Brignoles -
21 avril 25

Mon cher Alberti

Je reçois à l'instant votre exquise lettre. Vite un mot pour dire que je prends rentre à Paris demain et pense y passer (Villa Montmorency)les trois premières semaines du mois de mai. Heureux si je pouvais vous revoir.
Bien amicalement votre,
André Gide"

***


"6 janvier 1927

Mon cher Alberti,

Vous êtes exquis de m'écrire ainsi...
J'emporte avec moi votre Oreste dans le midi. Je suis extrêmement fatigué, incapable aujourd'hui de vous écrire mieux et davantage.
Mais croyez à mon affection bien fidèle.
André Gide"


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