Une intervention aura particulièrement
marqué les 2èmes Journées Catherine Gide : celle d'Ambre Fuentes
qui a évoqué pour les gidiens présents au Lavandou son projet provisoirement nommé «
André Gide autour du monde ». Une enquête poétique et
décalée, dans une dizaine de pays où Gide n'a jamais mis les
pieds, mais où la jeune femme a cherché à savoir s'il était vrai
que, ainsi qu'on l'entend souvent, « On ne lit plus André
Gide ».
Next gidian : 180 miles
Partie « sur les traces des
lecteurs de Gide », Ambre Fuentes filme son périple au
plus près des gens et des choses. Au passage, elle mesure la place
aujourd'hui dévolue à la littérature, à la culture française
dans les pays qu'elle traverse. Projet qu'elle qualifie
« d'expérience totale, à la fois intime et universelle »,
le récit de ce voyage montre une ouverture à la rencontre et à la
surprise des plus gidiennes, tout comme la volonté avouée
« d'amincir la frontière entre vivre et lire ».
Porte à porte, visite des principales
librairies et bibliothèques de la ville, ou même affiches « Gide
wanted » et « Do you know André Gide ? » posées dans New-York, tout est bon pour débusquer
les lecteurs. Ou les traducteurs comme Richard Howard. Ou l'amateur
de skateboard qui a ajouté une citation de Gide en sous-titre de ses
prouesses diffusées sur Youtube... Ambre Fuentes s'attarde aussi
dans les rues André Gide au Québec ou encore dans un café
littéraire de Taïwan baptisé « La porte étroite ».
Do you know André Gide ? (Photo Olivier Monoyer)
En Espagne, la connaissance de Gide
diminue chez les étudiants en littérature malgré de récentes
traductions. Tout comme au Portugal où l'âge d'or de la présence
culturelle française semble loin. Aux Etats-Unis, Gide est présent
dans les universités importantes mais reste scandaleux dès qu'on
quitte les grandes villes – et interdit en prison. L'université de
San José au Nicaragua consacre une vitrine à Gide mais ne
l'enseigne pas : pas assez catholique.
La Nouvelle-Zélande, de l'avis des
gidiens rencontrés sur place, est « trop heureuse pour
s'intéresser aux inquiétudes de Gide ». Idem en Australie
où sa pensée est incompatible avec le mouvement de la société. A Hong-Kong et Singapour, où là aussi la littérature française
recule, Gide est l'archétype du type français. Au Japon il reste une figure importante, notamment grâce à la poésie
appréciée dans ses écrits, et qui passe bien dans la traduction
vers le japonais, tout comme l'anglais modernise son style.
Ambre Fuentes (Photo Olivier Monoyer)
Je retrouve ces trop lapidaires commentaires dans mes notes, où j'ai aussi consigné les bémols
apportés par Ambre Fuentes : bien sûr, tout ceci est un portrait
subjectif et mouvant de l'ombre de Gide à travers le monde. Mais des
lignes de force se dégagent : la baisse, partout, du niveau culturel
des universitaires qui délaissent la littérature pour les études de genre ou la critique structuraliste. Tant mieux, ce sont souvent ceux qui dissèquent Gide qui vont répétant qu'on ne le lit plus. L'écoute du monde prouve chaque jour qu'une cohorte de lecteurs ordinaires et fervents découvre et partage Gide.
Les quelques minutes de film montées
tout spécialement pour l'occasion promettent de
faire entendre haut et fort cet écho gidien quotidien. Sa voix toute française
mais immédiatement traduisible. Sa morale de l'effort, d'une
libération qui sait se tenir. Son ironie envers les religions comme
l'athéisme, qui rend son œuvre plus que jamais nécessaire. Sa
poésie, son « drôle à lui », restitués par Ambre
Fuentes dans ces quelques images. Des images qui donnent très envie
d'en voir davantage, et laissent augurer d'une œuvre importante,
pour Gide comme pour sa réalisatrice.