Discrète, pour ne pas dire méconnue,
la Fondation des Treilles œuvre depuis les années 80 à la croisée
des sciences et des arts. Elle abrite notamment depuis 2009 le Centre
André Gide-Jean Schlumberger. Grâce aux Journées Catherine Gide,
le mois dernier au Lavandou, un coin du voile s'est levé sur ces
arpents provençaux tout dédiés à l'esprit.
En conclusion des 3èmes Journées Catherine Gide, Raphaël Dupouy
accueillait Anne Bourjade (à droite) et Valérie
Dubec-Monoyez (au centre)
Anne Bourjade, directrice de la
Fondation, en rappelait tout d'abord l'origine : « Anne
Gruner-Schlumberger, fille de Conrad et nièce de Jean, acquiert le
domaine des Treilles en 1960 et entreprend de rénover et de
construire sur ce site une douzaine de maisons avec l'architecte
Pierre Barbe. Elle consacre également son énergie à l’aménagement
du lieu avec l’aide du paysagiste Henri Fisch. La nature
domestiquée sert d’écrin aux sculptures de Ernst, Takis, Lalanne,
Laurens. »
Le lieu semble à l'image de cette
bonne fée : « La discrétion protestante, à l'européenne, le
bon goût, à la française, la tradition libérale, à
l'américaine », pour reprendre une formule de Régis Debray
dans la préface d'un bel ouvrage consacré à la Fondation des
Treilles*. Il accueille des séminaires, des séjours d'étude, aide
de jeunes chercheurs et propose des résidences aux artistes.
Le Centre André Gide-Jean Schlumberger
a pris forme autour du fonds Jean Schlumberger, « un millier
d'unités bibliographiques, mais alors trop centré sur une
personnalité, et peu représentatif de son rôle au sein du réseau
de la NRF notamment », explique Anne Bourjade. « L'achat
des archives de Jean-Pierre Dauphin, archiviste et pilier des
éditions Gallimard, a permis de mieux représenter cet univers. »
Les neuf cents cartons de livres,
catalogues et documents autographes prennent alors place dans des
locaux sécurisés, aménagés pour eux, bientôt rejoints, grâce à
la Fondation Catherine Gide, par un fonds d’archives documentaires
et d’ouvrages du cabinet de travail d'André Gide. « A ce
jour, le centre, riche d'environ 30 000 unités bibliographiques, a
reçu et aidé une dizaine de chercheurs et prêté un certain nombre
d’ouvrages et documents. » On a pu en voir quelques-uns dans
l'exposition consacrée à la Petite Dame au Lavandou.
Jean Schlumberger alias Nicolas, à la Petite Dame alias Philomène
(le deuxième prénom de ces deux amis)
« Il s'agit de fonds d'origines
différentes mais très complémentaires », poursuit Valérie
Dubec-Monoyez, bibliothécaire à la Fondation des Treilles. « Le
Cabinet Jean Schlumberger regroupe les livres de sa bibliothèque
personnelle, les dédicaces permettant de dresser une sorte de géographie des sympathies
littéraires de l'auteur, et l'ensemble de sa production littéraire
(ouvrages, manuscrits, articles, notes de lectures...). »
Ce fonds recèle encore beaucoup
d'inédits : certains des carnets manuscrits de Jean Schlumberger,
sorte de journal de l'auteur et de nombreuses correspondances.
« Correspondances échangées avec sa famille (notamment son
épouse Suzanne Weyher) et les écrivains de la NRF comme André
Gide, Roger Martin du Gard, Jacques Copeau, Auguste Anglès, Henri
Ghéon, Roger Martin du Gard, Anna de Noailles, Jacques et Isabelle
Rivière ou encore Jean Paulhan. Environ 2600 lettres, une mine de
renseignements sur la vie littéraire et artistique de l'époque. »
Cet ensemble n'a été ouvert aux
chercheurs qu’à partir de l’achat du fonds complémentaire de
Jean-Pierre Dauphin. « 20 000 unités bibliographiques
réparties en trois grands domaines généralistes : littérature
(80%), histoire (environ 10%) et civilisation (idem). Il se compose
essentiellement d’ouvrages de littérature française, pour une
période s’étalant de la fin du 19ème siècle jusqu’au milieu
du 20ème et les auteurs représentés sont principalement des
auteurs de la maison Gallimard, auteurs français mais également
étrangers. »
« Il s'agit souvent de
monographies en édition originale avec des exemplaires dédicacés
ou numérotés. L'histoire éditoriale pour un même ouvrage est
souvent complète avec jeux d'épreuves, brochés ou mobiles,
exemplaires hors commerce etc. comme c'est le cas notamment
pour les Pléiades », poursuit Valérie Dubec-Monoyez, qui
signale aussi « Un fonds Céline dont Jean-Pierre Dauphin était
l'un des spécialistes avec notamment les plaques d’imprimatur de
Bagatelle pour un massacre et une masse de documents
concernant cet auteur (plus de 300 occurrences dans le catalogue). » Ou encore un fonds Surréalisme, un fonds graphisme
Massin, un fonds histoire du livre et de l'édition, un fonds de
partitions qui reste à explorer...
Exploration désormais permise par cet
extraordinaire travail de sauvegarde, de conservation et d'archivage.
« A la nécessité de la transmission s'ajoute celle de faire
connaître cet ensemble aux chercheurs », concluent Anne
Bourjade et Valérie Dubec-Monoyez. Pour cela, la Fondation s'est
rapprochée de la BnF, de la Bibliothèque Jacques Doucet, de l'IMEC,
de l'ITEM et de la bibliothèque de l'Alcazar de Marseille. Une mise
en réseau est à l'étude, de même qu'une cartographie des fonds
et, à terme, l'interopérabilité des catalogues.
Les communications d'Anne Bourjade et Valérie Dubec-Monoyez, des photographies des Journées Catherine Gide par Olivier Monoyez et des images des ouvrages tirés du Centre Gide-Schlumberger sont à télécharger au format pdf à partir de cette page du site de la Fondation des Treilles.
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* La Fondation des Treilles,
ouvrage collectif sous la direction de Maryvonne de Saint Pulgent,
photographies de Dominique Laugé, Fondation des Treilles, 2010