vendredi 5 février 2010

Les Faux-monnayeurs à l'écran (suite)

L'adaptation des Faux-monnayeurs par Benoît Jacquot tout d'abord saluée par Télérama a fait l'objet d'une critique plus sévère dans La Croix :

"«Je serais très curieux de savoir quand ce film passera sur France Télévisions », lance, sourire en coin, Benoît Jacquot en présentant son dernier film, Les Faux monnayeurs, un Fipa d’or d’honneur dans les bras.

Quel est donc ce film qui ferait trembler France Télévisions ? L’adaptation du roman polyphonique d’André Gide écrit en 1924. Un texte dont la structure, les ramifications et les personnages sont d’une richesse narrative complexe. Des êtres de chair qui se cherchent et qui se donnent, qui se séduisent et se trompent, qui se perdent et qui se retrouvent. Histoire de jeunes éphèbes et d’adultes, de beauté des corps et d’émois sensuels, le roman de Gide explore la ronde des sentiments homosexuels, pédérastes (un mot et une passion qui en 1924 étaient moins tabou qu’en 2010) dans la grande bourgeoisie parisienne.

On comprend donc le « sourire en coin ». Dans l’esprit de Benoît Jacquot, son film est nécessairement sulfureux. Il espère la polémique. Il aspire au scandale. Donc il en rajoute dans l’esthétisme, dans le maniérisme, dans le soin donné aux plans, aux décors, aux costumes, aux caractères, aux personnages. Une lumière, un découpage, une atmosphère léchés, soignés, travaillés… affectés. Le sourire en coin nous poursuit.

Et si tout cela était vain, creux, superficiel ? Après le Chateaubriand de Pierre Aknine, pourtant, on hésite à critiquer Benoît Jacquot. Toutefois, si on le compare avec son modèle, le roman de Gide, on doit bien reconnaître que la portée « subversive » de son adaptation reste inférieure à celle du texte. Qu’importe…

En fait, tout cela est un peu daté. Et la provocation, et le propos, et le goût du scandale. Les moins de 40 ans si chers à Patrice Duhamel pourront sans doute être sensibles à la beauté formelle du film de Benoît Jacquot, mais ne seront en rien choqués par cette œuvre artificiellement provocatrice. Le sourire en coin du réalisateur, le « Je serais curieux de savoir quand ce film passera sur France Télévisions » a démystifié son projet, a dévoilé un instant ce qu’il est : un faux-monnayeur.

Du reste, à la conférence de presse de France Télévisions, Patrice Duhamel s’étonne de la crainte de Benoît Jacquot. Le numéro 2 du service public n’est pas Tartuffe. « Les Faux Monnayeurs seront évidemment diffusés sur notre antenne », assure-t-il aux journalistes venus le rencontrer. Nous voilà rassurés. Benoît Jacquot peut dormir en paix : la réaction ne passera pas !
" (Le bloc-notes du Fipa 2010 : de Gide à Nurse Jackie, par Laurent Larcher, envoyé spécial de "La Croix" à Biarritz, 31 janvier 2010)

Pierre Assouline dans Le Monde note aussi cet accueil «contrasté» :

"Soit, mais la fiction ? C'est surtout là qu'on guette la littérature au tournant. Las ! Les deux grandes productions françaises les plus attendues ont laissé un sentiment contrasté. [...]

Les Faux-monnayeurs, de Benoît Jacquot, était l'autre grand spectacle annoncé par la rumeur. Contemporain consacré comme capital par l'histoire littéraire, diariste, épistolier et critique exceptionnels, Gide était un romancier plus limité. Cette histoire-là était réputée inadaptable. On comprend pourquoi. Le réalisateur est passé outre pour en faire son film le plus radical, voire élitiste, d'une beauté glacée, voire austère. Le parti pris est respectable mais le résultat, distendu et désincarné par l'incrustation de cartons ("Monsieur Profitendieu suit Bernard qui retourne chez Edouard voir Olivier"), donne un tempo lent à l'ensemble qui s'étire dans un ennui distingué.

A la sortie, ceux qui louèrent l'audace formelle du film se virent opposer une sournoise apologie de la pédophilie. Mais tous s'accordèrent dans l'idée que, puisque le film est programmé par la direction de France Télévisions "dans le courant de l'année à 20 h 30", ce sera certainement un soir où, sur TF1, l'équipe de France de football tiendra l'affiche dans un registre légèrement différent.
" (Le Monde des Livres, Pierre Assouline, 4 février 2010)

L'Humanité, sous la plume de Claude Baudry, résume :

" [...] les Faux monnayeurs, d’après Gide, a divisé les spectateurs entre ceux qui ont aimé cette œuvre exigeante et ceux qui ont détesté. Un peu de dispute dans un univers qui en manque, au fond, c’est déjà bien. "

2 commentaires:

Lorelei a dit…

Bonjour,
Je ne sais pas si B. Jacquot est un faux-monnayeur, mais il me semble que son propos - "je serais bien curieux de savoir quand ce film sera diffusé sur France télévisions" - fait tout simplement écho au dernières lignes du roman : "je suis bien curieux de connaître Caloub." Ne serait-ce pas alors un simple hommage, un clin d'œil ludique et non une attitude suffisante ?

Fabrice a dit…

Veuillez m'excuser tout d'abord de n'avoir pas réagi plus tôt à votre commentaire, une liaison satellite défectueuse m'a tenu éloigné de ce blog depuis ce dernier billet.

Cette déclaration est peut-être une façon de "boucler la boucle", oui.
Et il faut noter que cette critique émane de La Croix... même si la subversion ne semble plus religieuse mais culturelle.
Le film de Benoît Jacquot paraît détoner dans la programmation télévisuelle... Mais attendons de voir.