Annoncée depuis longtemps, la vente de
la bibliothèque de Pierre Bergé débute par une première session vendredi 11 décembre à Drouot. « Ce n'est pas facile de se séparer d'amis de plus de 40 ans ! Et quels amis ! je les aime tous, de saint Augustin à André Gide, même si j'ai un faible que je ne saurais cacher pour Flaubert », explique ainsi l'homme d'affaires dans sa préface au catalogue.
Une exposition itinérante d'une centaine de pièces donne quant à elle un aperçu de la bibliothèque qui rassemble 1600 livres, partitions musicales et manuscrits du XVe au XXe siècle. Mais cette première vente présente 150 ouvrages couvrant six siècles, des
Confessions de saint Augustin, imprimées à Strasbourg vers 1470, jusqu’au
Scrap Book 3 de William Burroughs, paru en 1979.
On y trouvera le manuscrit autographe des
Cahiers d’André Walter, accompagné de trois enveloppes portant des adresses de la main de Pierre Louÿs,
Le Voyage d'Urien adressé à Henri de Régnier, un exemplaire sur grand papier de Paludes offert « à Monsieur Stéphane Mallarmé, notre maître très vénéré. » ou encore un exemplaire de l’édition originale de
L’Immoraliste (1902) portant un envoi à Léon Blum. Mais aussi quelques livres envoyés à Gide par Bernanos, Cocteau et Céline.
Lot 107
GIDE, André.
[Les Cahiers d'André Walter.] Sans lieu ni date [1890].
Manuscrit autographe de 272 ff. in-8 ou in-12, écrits au recto et numérotés à l'encre par l'auteur
[124 ff. chiffrés de 1 à 122 pour le Cahier blanc ; (1) et 147 ff. chiffrés de 1 à 143 pour le Cahier noir] : maroquin janséniste aubergine, dos à nerfs, coupes filetées or, doublures de maroquin vert ornées, en encadrement, d'un filet doré et de deux listels mosaïqués de maroquin émeraude, gardes de soie verte, tranches dorées (Vermorel).
Précieux manuscrit autographe complet du premier livre d'André Gide.
Bien que dépourvu de titre, il offre l'intégralité du texte des Cahiers d'André Walter, prêt pour l'impression, tel qu'il fut établi par Gide à l'intention de l'imprimeur Deslis, à Tours. Le manuscrit présente plusieurs passages rayés et quelques corrections. Le principal personnage féminin de cette autobiographie déguisée, Emmanuèle, porte encore ici le prénom de la future épouse d'André Gide, Madeleine : le nouveau prénom a cependant été indiqué au crayon noir, en surcharge, sur quelques feuillets.
On a relié au début du volume le manuscrit autographe de Pierre Louÿs, signé des initiales P.C. (Pierre Chrysis), de la fameuse Notice imprimée en tête de l'édition originale (3 feuillets in-4, repliés, à l'encre violette).
“Quand Gide, à l'âge de vingt et un ans, écrivit ses Cahiers d'André Walter, ses relations avec Pierre Louÿs étaient encore assez bonnes pour qu'il lui demandât de se prêter à une petite comédie. Gide voulait faire passer André Walter pour un jeune romantique dont la raison avait sombré et qui était mort avant d'avoir pu publier ses Cahiers. Pierre Louÿs (…) se chargea donc de présenter cette pseudo-œuvre posthume au public. Mais cette préface ne fut maintenue qu'en tête de la première édition, publiée par la Librairie Perrin. Par la suite, elle fut supprimée” (Bibliothèque nationale, André Gide, 1970, n° 123.- Voir aussi la longue notice de Pascal de Sadeleer sur un autre manuscrit de la Notice, in Bibliothèque littéraire R. Moureau et M. de Bellefroid , 9 et 10 décembre 2004, Pierre Bergé & Associés, n° 794).
On trouve à la fin du volume trois grandes enveloppes de papier bleu, avec marques postales, portant trois adresses soigneusement calligraphiées par Pierre Louÿs : celle de l'improbable André Walter, “chez Mr André Gide, à la Roque-Beynard [sic], par Cambremer (Calvados)” ; celle de Gide (“Uzès, Gard”) ; et enfin celle de Maurice Quillot, à Paris, arborant, à la manière d'un testament, quatre grands sceaux à la cire rouge et noire. Ces trois enveloppes, qui contenaient peut-être le manuscrit des Cahiers et de la Notice, étaient sans doute destinées à rendre plus crédible la petite supercherie littéraire.
Les Cahiers d'André Walter furent mis en vente le 27 février 1891. L'édition Perrin déplut à Gide, qui la jugeait incorrecte et en fit envoyer l'essentiel au pilon. Quelques dizaines d'exemplaires de presse échappèrent à la destruction, mais ils furent le plus souvent négligés en raison de l'absence de notoriété de l'auteur. Quant au tirage de tête, il n'en subsiste qu'un exemplaire sur papier de Chine et deux sur Japon. Un exemplaire de cette édition originale, découvert par hasard, séduisit Maurice Barrès qui fit faire à Gide son entrée dans le monde littéraire, le présentant notamment à Mallarmé. Une édition dite “de luxe” annoncée dans l'originale fut effectivement publiée, mais à la Librairie de l'Art indépendant, à qui Gide avait parallèlement confié la publication des Cahiers.
Manuscrit exceptionnel, d'un grand intérêt littéraire : il marque les débuts d'André Gide, le futur “Contemporain capital”.
Dos de la reliure uniformément passé.
Estimation :100 000 / 150 000 €
Lot 112
GIDE, André.
Le Voyage d'Urien. Paris, Librairie de l'Art indépendant, 1893.
In-8 carré : cartonnage à la Bradel, pièce de titre de maroquin rouge, non rogné, couvertures illustrées conservées (Paul Vié).
Édition originale : elle est dédiée au poète Henri de Régnier.
Tirage limité à 300 exemplaires numérotés (nº 3), plus quelques exemplaires sur Chine et sur Japon. Ce voyage du Rien est une odyssée ironique, écrite “en réaction contre l’école naturaliste”. Quelques jeunes gens en quête de “glorieuses destinées” s’embarquent pour un périple allégorique qui débouche dans les déserts glacés de la stérilité.
31 lithographies originales du peintre Maurice Denis.
Le Nabi est parvenu à se libérer de toute servitude descriptive pour mieux investir le texte en créateur. Les lithographies sont tirées en deux tons, sur fond tantôt ocre, tantôt vert pâle. Elles sont quasiment les seules que Maurice Denis ait produites. Il fut, semble-t-il, peu attiré par la pratique de la gravure originale dans le livre. La mise en page dénote un grand raffinement dans les espaces, les initiales et les images. La couverture imprimée est également illustrée.
Le Voyage d’Urien est un des grands livres illustrés dans la tradition du livre de peintre inaugurée par Édouard Manet, Charles Cros et Stéphane Mallarmé en 1874-1875. La collaboration entre le peintre et l’auteur fut des plus étroites. “Ce livre est la trace la plus accentuée du symbolisme, la ratification par les Nabis du principe du livre de dialogue” (Yves Peyré).
Précieux exemplaire de dédicace avec, sur le faux titre, cet envoi autographe signé :
à Henri de Regnier
son ami
André Gide.
Les deux écrivains furent longtemps très liés. De cinq ans son aîné, Régnier fut l'une des admirations littéraires de Gide. Ensemble, ils voyagèrent en Bretagne ; durant ce périple, en 1892, Gide composa son Voyage d'Urien qu'il lui dédia.
Ils devaient se brouiller en raison d'un article que Gide consacra à La Double Maîtresse dans La Revue Blanche en mai 1900, article dans lequel l'écrivain ne ménageait pas ses critiques. Blessé, Régnier ne pardonna jamais l'affront et resta sourd aux tentatives de réconciliation de celui qu'il regardait désormais comme “un médiocre prosateur à la médiocrité prétentieuse”.
Fidèle en dépit du ressentiment, André Gide accorda aux vers de Régnier une place remarquée dans son Anthologie de la poésie française parue en 1949.
Estimation : 20 000 / 30 000 €
Lot 114
GIDE, André.
Paludes. Paris, Librairie de l'Art indépendant, 1895.
Grand in-8 carré : broché, couvertures grises rempliées, plat supérieur imprimé.
Édition originale.
Elle a été publiée à compte d'auteur, à un tirage restreint : 400 exemplaires, plus 9 exemplaires hors commerce – 6 sur papier de Chine et 3 sur papier vert. Le premier des 6 exemplaires de tête sur papier de Chine, justifié avec la lettre “a”.
Le roman ou plutôt la sotie, pour reprendre le terme que Gide affectionnait, est une satire enjouée des cénacles parisiens et du climat oppressant des milieux symbolistes dans laquelle Gide ne s’épargne pas lui-même.
Le retentissement de Paludes fut quasi nul, mais la vogue du nouveau roman devait contribuer à sa fortune littéraire. L'œuvre si “moderne” du point de vue formel a été consacrée par Roland Barthes dans Le Plaisir du texte, puis placée par Nathalie Sarraute au rang des “cinq ou six œuvres les plus importantes de notre temps”.
Précieux exemplaire de Stéphane Mallarmé.
Envoi autographe signé sur le faux titre :
à Monsieur Stéphane Mallarmé
notre maître très vénéré
André Gide
“Sit Tityrus Orpheus”
Virgile
Le don de l'auteur manifeste une admiration profonde envers le maître dont l'extrême exigence était la règle de vie et d'écriture, et dont le disciple pressent qu'il est “le poète qui a décidé de la modernité”.
Toutefois, chez Gide, l'admiration ne saurait être sans réserve, à tel point que dans Paludes même, “M. Mallarmé” est nommément cité à plusieurs reprises sur le mode ironique ou sarcastique.
La lettre de remerciement de Mallarmé pour “l'offre de l'exemplaire A de Paludes”, en date du 21 juillet 1895, relève à peine la “goutte aigrelette et précieuse d'ironie”, pour ajouter : “Merci de l'affectueux honneur qu'y soit mon nom.” Et, pour l'essentiel, la forme novatrice de l'œuvre ne lui a pas échappé : “Vous avez trouvé, dans le suspens et l'à-côté, une forme qui devait se présenter et qu'on ne reprendra pas.”
Frank Lestringant observe finement combien Gide n'a jamais été aussi empressé auprès du maître, ni si proche de lui que durant cette période où il s'émancipait du symbolisme. Ce que le biographe nomme le complexe du fils prodigue : “En face de ce père d'élection, Gide se rend et se sent coupable, infiniment coupable, mais c'est pour être d'autant mieux aimé et favorisé de lui.”
Quant au vœu exprimé en latin à la fin de l'envoi, “Sit Tityrus Orpheus”, il renvoie au sens premier de Paludes. En effet, l'ouvrage est inspiré de deux vers de Virgile à propos de Tityre, le berger des Bucoliques : celui-ci, bien que possédant un champ “plein de pierres et de marécages”, est heureux de son sort. Qu'il en soit de même pour le Poète livré à la solitude et au confinement.
Bel exemplaire tel que paru, broché. Dos fendillé, habilement restauré.
Estimation : 60 000 / 80 000 €
Lot 120
GIDE, André.
L'Immoraliste. Paris, Mercure de France, 1902.
In-12, demi-toile brique à la Bradel, initiales “LB” dorées en queue, non rogné, couvertures conservées (reliure de l'époque).
Édition originale.
Tirage unique à 300 exemplaires sur vergé d'Arches.
“Le chef-d'œuvre de Gide, d'une lumineuse cruauté” (Charles Du Bos).
Bien accueilli par la critique, “le livre, s'il ne conquit pas à Gide la grande notoriété que lui vaudraient plus tard La Porte étroite et Les Caves, consacra son originalité et sa maîtrise aux yeux du public lettré” (En français dans le texte, Paris, 1990, n° 330).
Plus tard, le régime de Vichy accusa l’Immoraliste, non seulement l’ouvrage mais l’auteur ainsi surnommé, d’avoir corrompu la jeunesse.
“Le succès précédent de Gide, Les Nourritures terrestres, eut plus d'influence sur la jeunesse, mais il est somme toute vague et sirupeux. Ici les tendances destructrices implicites dans l'obsession païenne du corps, l'homosexualité latente que le désert fait ressortir, sont annonciatrices de certains aspects de sa propre vie, si profondément modifiée par sa rencontre avec Wilde et Douglas” (Connolly).
Précieux envoi autographe signé :
à Léon Blum
son ami
André Gide
Superbe provenance.
André Gide et Léon Blum (1872-1950) se rencontrèrent en 1888, sur les bancs du lycée Henri IV, en classe de philosophie. Ils demeurèrent liés toute leur vie, partageant une même passion pour la littérature.
Exemplaire en modeste demi-reliure du temps portant, comme la plupart des livres de la bibliothèque de Léon Blum, les initiales “L.B.” dorées en pied du dos. Ex-libris Hubert Heilbronn.
Dos légèrement insolé. Petite fente sans gravité à la coiffe supérieure.
Estimation : 10 000 / 15 000 €
Lot 151
COCTEAU, Jean.
Le Coq et l'Arlequin. Notes autour de la musique. Avec un portrait de l'auteur et deux monogrammes par P. Picasso. Paris, La Sirène, Collection des Tracts, nº 1, 1918 [janvier 1919].
In-16 : broché, chemise, étui en demi-maroquin rouge.
On joint :
COCTEAU, Jean. Lettre à André Gide. Sans lieu, 1er décembre 1919.
Lettre autographe signée, 1 page in-4.
Édition originale.
Elle est ornée d'un portrait de l'auteur en frontispice reproduisant un dessin à la mine de plomb portant : “à mon ami Jean Cocteau, Picasso, 1916.”
Élégante plaquette, la première de la “Collection des Tracts” lancée par les éditions de la Sirène, imprimée par Protat. Les éditions de La Sirène publièrent trois livres de Cocteau, à l'époque où elles jouèrent un rôle important en faveur de la jeune littérature.
Dédiée à Georges Auric, cette suite de notes brèves et d'aphorismes sur la musique et l'art en général est un véritable manifeste de l'esprit nouveau où l'auteur érige en système de façon brillante les enseignements de Parade – ce premier ballet résolument moderne (1917), mis en œuvre par un quatuor légendaire : Diaghilev, Picasso, Erik Satie et Jean Cocteau.
Très amusant envoi autographe signé sur le faux titre :
a André
Gide
“Le Piano et le
papillon ”
ou
Le Coq et l'Arlequin
Son ami, de
tout cœur
Jean Cocteau
Mai 1919
Cet envoi affectueux précède de peu une des célèbres brouilles entre Jean Cocteau et André Gide, dont l'amitié avait débuté en 1912 par une lettre admirative du plus jeune à l'auteur de Paludes.
Dans cet essai, qui imposait Erik Satie et la musique nouvelle aux oreilles acouphéniques des musicologues et lettrés sortant des canonnades de la Grande Guerre, Cocteau avait cité Gide sans mettre de guillemets. Il fit amende honorable quelque temps plus tard : “Un oubli de guillemets m'enrichissant d'une phrase dite par ANDRE GIDE : La langue française est un piano sans pédales , je me fais un scrupule de signaler au lecteur cette interpolation involontaire. J.C.”
Presque aussitôt, Gide riposta dans la Nouvelle Revue française par une Lettre ouverte à Jean Cocteau dans laquelle il pointait l'incompétence musicale de l'auteur du Coq et l'Arlequin. Cocteau répliqua :
“Il y a en vous du pasteur et de la bacchante” (Les Écrits nouveaux, août 1919).
On joint une lettre autographe signée adressée par Jean Cocteau à André Gide le 1er décembre 1919 afin de mettre un terme à la controverse :
Mon cher Gide,
Je n 'ai pas lu votre dernier article et ne le lirai jamais. La consigne autour de moi est de se taire sur ce chapitre. Seul moyen de me défendre contre les bas réflexes de réponse.
Donc, rien ne me gêne pour serrer la main que vous me tendez
Votre Jean Cocteau
Estimation : 4 000 / 6 000 €
Lot 165
BERNANOS, Georges.
Sous le soleil de Satan. Paris, Plon, sans date [1926].
In-12, broché, couvertures de papier jaune imprimées, sous étui-chemise.
Édition originale.
Premier roman publié par l'auteur, Sous le soleil de Satan apporta à Georges Bernanos une notoriété immédiate. Adapté au cinéma par Maurice Pialat, Palme d'or en 1987, il reste avec Le Journal d'un curé de campagne son œuvre la plus populaire.
Remarquable envoi autographe signé au recto du premier feuillet :
à André Gide,
en témoignage de gratitude spirituelle pour tout ce que vous m'avez donné malgré vous, pour tout ce que votre lucide génie nous dispense de cette âme que vous réservez, et que Dieu seul est capable de forcer,
G. Bernanos
Surprenante reconnaissance de dette de la part de l'écrivain catholique – le peintre impitoyable du mal, de l'imposture et de la grâce – envers l'auteur de Corydon, conspué par les gardiens du Temple de l'époque.
Georges Bernanos (1888-1948) ne devait jamais cacher cette manière d'attirance-répulsion qui marqua ses rapports avec André Gide (1869-1951) : “Je défie qu'on trouve dans tous mes livres une ligne à sa louange. Il est vrai que je ne saurais partager la conviction un peu trop sommaire de Paul Claudel ou de Henri Massis, qui le croient possédé du diable, mais, loin d'être tenté de trop d'indulgence envers lui, j'avoue que je dois faire un effort pour rester juste à l'égard d'un grand écrivain – l'un des plus grands de notre littérature – et qui honore notre langue. ”
Bernanos ne cessera d'interpeller son aîné sans le nommer dans tous ses livres, jusqu'à l'ultime Monsieur Ouine (1943), portrait de l'intellectuel en décomposition dont Gide fut, de l'aveu de son auteur, la principale source d'inspiration. Il fut même le seul à prendre sa défense lorsque Gide se vit attaqué par Aragon dans les Lettres françaises en novembre 1944.
Et Bernanos de regretter à sa mort de ne jamais l'avoir rencontré.
Quant à André Gide, il fut enthousiasmé par ce premier roman de Georges Bernanos, pourtant encore proche de l'Action française à l'époque.
Couvertures légèrement usées.
Estimation : 10 000 / 15 000 €
Lot 173
CÉLINE, Louis Destouches, dit Louis-Ferdinand.
Voyage au bout de la nuit. Roman. Paris, Éditions Denoël et Steele, 1932.
Fort in-12, broché, emboîtage de toile noire.
Édition originale.
Exemplaire non justifié, imprimé sur alfa. Le tirage numéroté est limité à 10 exemplaires sur vergé d'Arches et 100 sur alfa.
Surprenant envoi autographe signé sur le faux titre :
A Monr Andre Gide
Tres respectueux et
Sincere Hommage
Louis Celine
Gide a noté à la plume, au recto du premier feuillet blanc, les pages correspondant aux passages du livre qui l'ont particulièrement marqué, et dont il a brièvement noté le sujet : 61 / 201-202 (bonté) / 274 (le bout de la nuit) / 295 / 359-60 = le cochon / 386-87 x tout ce chap. de 384 à 394 / 405 - quand tout sera dit / 407 lâcheté / 548 description x.
Une des provenances les plus improbables pour ce chef-d'œuvre de la littérature du XXe siècle.
En 1932, Céline croit encore à ses chances de décrocher le Goncourt et se démène pour la promotion de son roman. Il envoie donc très logiquement un exemplaire au “contemporain capital”. La suite est connue et l'écrivain, dont le roman a suscité une polémique inouïe, y verra l'origine de tous ses maux : “Le triomphe du Voyage m'a été aussi pénible que les cyclones de Bagatelles” écrira-t-il dans une lettre à Daragnès en 1948.
Dans une page de son Journal consacrée à la publication de Bagatelles pour un massacre, André Gide revient sur son admiration pour le Voyage : “Vous vous souvenez du raffut que firent ses deux premiers livres. La presse était éberluée et ne savait plus quel ton prendre. Certains articles s'indignaient ; d'autres s'extasiaient. (...) Une entre-lecture cursive m'avait d'abord fait considérer Mort à crédit comme fort inférieur au Voyage au bout de la nuit , que j'avais lu avec un épatement inégal, mais par moments (vers la fin du livre surtout) considérable.”
La note élogieuse, rédigée vers 1939, est d'autant plus remarquable que, dans Bagatelles (publiées à peine cinq ans après le Voyage), Gide était sévèrement malmené et ses préférences sexuelles dénoncées de manière odieuse : “Monsieur Gide en était encore à se demander tout éperdu de réticences, de sinueux scrupules, de fragilités syntaxiques, s'il fallait ou ne fallait pas enculer le petit Bédouin, que déjà depuis belle lurette le Voyage avait fait des siennes” (Bagatelles, p. 82).
Il était déjà loin le temps du “Très respectueux et sincère hommage ” à celui que Céline qualifiera désormais en privé de “cuistre tarabiscoté”…
Exemplaire parfait.
Estimation : 30 000 / 40 000 €