Je crois Jean d'Ormesson lorsqu'il dit : "Ce livre aurait été impossible il y a trente ans, difficile il y a vingt, compliqué il y a dix." Je songe à cette vieille dame que j'ai bien connue, gaulliste en diable, pour qui "ces choses là ne se disent pas". Je pardonne à Lacouture qui, dans sa biographie de Mauriac a travesti un ami de Mauriac en amiE. Nombreux étaient d'ailleurs ceux qui connaissaient la bosse que l'écrivain tentait de cacher sous l'habit religieux.
Oui, une malformation comme Mauriac l'écrit en 1950 dans Les paroles restent : "L'erreur littéraire de Gide, à mon avis, c'est d'avoir agité un drapeau sur l'homosexualité. L'homosexualité n'est pas une cause. C'est comme un bossu qui crierait " Vive les bosses !" ; ça n'a pas de sens." Quelque chose avec quoi il faut vivre et pas seulement la "crise" qu'il prétend lorsqu'il demande à récupérer les lettres compromettantes que Daniel Guérin a en sa possession...
A ceux qui ne verront là qu'un objet de scandale ou une biographie "orientée", je recommande de relire Mauriac maintenant qu'ils savent : "Même dans l'état de grâce, mes créatures naissent du plus trouble de moi-même; elles se forment de ce qui subsiste en moi malgré moi." De l'Enfant chargé de chaînes à Thérèse Desqueyroux, et jusque dans les réflexions à genoux du Bloc-Notes la lecture de Mauriac prend une palette plus vive.
Citant Malraux, d'autres diront : "Sous l'artiste, on veut atteindre l'homme. Grattons jusqu'à la honte la fresque. Nous finirons par trouver le plâtre." Là encore, c'est méconnaître Mauriac qui, dans Le Nouveau Bloc-Notes, écrit à l'entrée du 8 octobre 1967 :
""Un misérable petit tas de secrets", voilà à quoi André Malraux renvoie les écrivains qui n'auront pas été des héros, qui n'auront pas conversé avec Nehru et avec Mao Tsé-toung, enfin dont la vie n'aura pas été comme la sienne une aventure épique. Mais pour nous, ce n'est pas ce petit tas de secrets qui compte, c'est ce qu'au travers nous pouvons atteindre d'un être; cette part de lui-même que nous autres, pauvres chrétiens, nous appelons son âme.
Aucun secret n'est misérable s'il nous rapproche de cette source en nous et chez nos frères dont nous avons la folie de croire qu'elle ne s'épuisera jamais , qu'elle rejaillira en vie éternelle.
Il me semble que cette approche, à travers les confidences écrites d'un écrivain, de secrets que peut-être il arrange, il maquille, nous le fait connaître mieux qu'une psychanalyse et que c'est d'un autre ordre. Il n'y a pas de secret misérable, dès l'instant que c'est le secret d'un homme, et il n'y a pas d'explication ou d'excuse qu'il nous en donne qui ne soit à son insu révélatrice.
Révélatrice de quoi ? "D'ailleurs on s'en fout" disait Valéry à Malraux à propos d'André Gide. Ce mot sépare deux familles d'esprits."
1 commentaire:
Merci pour votre passage sur mon blog!
Enregistrer un commentaire