Nous avions laissé ici Elisabeth van Rysselberghe à la naissance de sa fille Catherine, dont le père n'est autre qu'André Gide.
André Gide, Catherine, le Petite Dame et Elisabeth
A l'arrière plan, "l'Oncle Martin", Roger Martin du Gard
Elisabeth retourne s'installer avec Catherine à la Bastide Franco qu'elle dirige. Pour les gens de là-bas, la version officielle sera que Catherine est une enfant adoptée, Elisabeth ayant pris de s'éloigner dès que la grossesse fut visible. Une version confortée après tout par les rumeurs qui courent au sujet d'Elisabeth : une femme aussi libre ne peut être que lesbienne...
En octobre, Elisabeth revoit son père pour la première fois depuis la naissance de Catherine. Le peintre Théo van Rysselberghe voit ses soupçons se confirmer : "Ce n'est pas la peine de dissimuler une paternité, qui se lit si clairement dans tous les traits de ce petit visage." Gide est à la fois soulagé que Théo sache la vérité et fièrement amusé de cette ressemblance.
Fin 1926, la bastide Franco est vendue. Elisabeth et Catherine s'installent à Saint-Clair, dans l'ancien atelier de Théo, mort en décembre de la même année. Rester dans le midi était, on l'a vu, un souhait profond d'Elisabeth qui s'y épanouit. Cela convient aussi très bien à Gide puisque le climat est une raison suffisante "aux yeux de Cuverville" – c'est-à-dire à ceux de son épouse – pour lui permettre des séjours fréquents auprès de Catherine.
A Paris, dès 1928, c'est rue Vaneau que Gide s'installe aux côtés de Maria van Rysselberghe. Deux appartements sur le même palier pour le père et la grand-mère de Catherine, plus deux studios : l'un pour recevoir Elisabeth lors de ses visites à Paris, l'autre pour Marc Allégret.
22 juin 31 : "Je reçois une lettre d'Elisabeth qui me dit : "Pierre Herbart est installé au "pin". [...] ; demande à Bypeed qui c'est, c'est lui qui me l'a fait connaître dans notre petit voyage à Roquebrune. C'est Cocteau qui, lors de ce même séjour à Roquebrune en mai 1927, avait présenté Herbart à Gide.
1er juillet 31, autre lettre d'Elisabeth à sa mère où Herbart est "l'oiseau rare" dans une cage dont toutes les portes sont ouvertes...
Le 22 août 31, toujours dans une lettre, elle annonce à sa mère : "Pierre Herbart et moi, nous allons nous marier pour simplifier la situation et légitimer l'enfant qui va venir, je l'espère, j'en suis certaine." Mais elle ajoute : "Ce mariage sera ce que nous le ferons."
Il faudra revenir, ailleurs, sur Pierre Herbart, ce jeune homme plein de charme et d'intelligence, aimant les garçons, ravi à Cocteau par Gide, et choisi à la fois par Elisabeth pour époux et par Gide comme proche. Rien d'étonnant à cela : Elisabeth et Gide ont toujours partagé les mêmes goûts, les mêmes élans et la même vision libre de l'amour...
Le second enfant d'Elisabeth, Jean, qu'elle eût cette fois avec Herbart, ne survivra pas. "Nous avons compris que la la mort de Jean n'était pa un simple ratage qui pourrait se réparer, mais bien un drame définitif", écrit Herbart à sa belle-même Maria van Rysselberghe. Le petit fantôme hante désormais Saint-Clair. Catherine allant en pension en Suisse, Elisabeth choisit de suivre Pierre Herbart dans ses déplacements.
Gide s'inquiète un peu de ce que Catherine pourrait appeler Herbart "papa". Mais dans l'immédiat, Gide n'est le père de la petite que pour le cercle des intimes, ceux que Roger Martin du Gard appelle "les" Gide. Catherine appelle Gide par son sobriquet trouvé il y a longtemps par Copeau, Bipède, et anglicisé par Whity, l'amie d'Elisabeth, en Bypeed.
Herbart intégrant définitivement le cercle gidien et prenant de plus en plus de place dans le monde des idées, s'installe avec Elisabeth dans l'espace géographique gidien de Paris et du Vaneau. La mort de Madeleine, en avril 1938, permet à Gide de reconnaître officiellement sa fille. Après-guerre, Elisabeth peut retrouver le sud de la France.
Après la mort de Gide, en 1951, les documents sur Elisabeth se font rares. En 1955, elle fait paraître une traduction de Canicule, de Donald Windham. Il semblerait que ses relations avec Pierre Herbart se soient distendues, ce dernier mourant à Grasse a été jeté dans la fosse commune puis enterré à Cabris.
Tout comme sa mère Maria, la Petite Dame, Elisabeth a joué dans le vie de Gide un rôle très important. Elisabeth poursuit une lignée de femmes de tête : la veuve Monnom, sa grand-mère, éditrice de l'avant-garde belge, Maria-La Petite Dame, sa mère, infatigable oreille et petit Eckermann de Gide, Elisabeth, la rebelle solaire et enfin Catherine, l'inattendue fille d'André Gide aujourd'hui gardienne d'une oeuvre qui a tant compté, compte et comptera pour longtemps encore.
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