Pour Henri Massis, La Porte Etroite, "confession animée d'une inquiétude spirituelle", laissait encore espérer en Gide. Mais avec le livre Les Caves du Vatican, "L'espoir dont il fut précédé, les conditions mêmes où il grandit, où il se forma, où il amassa sa détestable substance, nous obligent à délivrer de ses entraves et de ses scrupules notre sentiment, à dénoncer tout ensemble la faillite esthétique et morale de qui osa le concevoir."
Cette critique des Caves paraît en juin 1914 dans l'Eclair. Massis "sonne le tocsin" note Gide dans son journal, le 12 juillet. "Somme toute, ce que Massis et les autres me reprochent c'est de s'être mépris, dans leurs premiers jugements sur moi." On ne lui pardonnera pas, en effet, après l'incompréhension de La Porte Etroite, d'être Gide.
En 1921 dans la Revue Universelle, pour la sortie de Morceaux Choisis, Massis trouve l'épithète qu'il appliquera désormais à Gide : "Il n'y a qu'un mot pour définir un tel homme, mot réservé et dont l'usage est rare, car la conscience dans le mal, la volonté de perdition ne sont pas si communes : c'est celui de démoniaque. Et il ne s'agit pas ici de ce satanisme verbal, littéraire, de cette affectation de vice, qui fut de mode il y a quelque trente ans, mais d'une âme affreusement lucide dont tout l'art s'applique à corrompre."
Il y a urgence à protéger les jeunes gens de cette influence démoniaque. Les attaques ne cesseront plus, où l'on retrouve également la critique du classicisme hypocrite. La polémique enfle et l'on parle bien davantage des "attaques de Béraud" que des livres de Gide. Chacun prend position, s'engouffre dans la brèche ouverte par Massis (Béraud), tandis que des soutiens plus ou moins étonnants viennent contre-attaquer. "Ce ne sont pas ceux qui m'attaquent, qui me font peur, tant que ceux qui vont me défendre", note Gide.
Mais Massis lui-même s'inquiète : il pense que ces attaques ont avancé la sortie de Corydon que Maritain lui-même est venu demander à Gide de ne point publier, avant de lui proposer de s'en remettre à Dieu par la prière... Avec Corydon, Massis prononce "La faillite d'André Gide", nouvel article en septembre 1929 toujours dans la Revue Universelle.
"La méthode de Massis et de son clan est de dénier toute valeur à ceux qu'ils ne peuvent annexer" (Journal, 13 mars1930). Et point de valeur possible en dehors de la catholicité. Gide est insaisissable, c'est donc qu'il est faux ("Gide est le faux-fuyant : il est faux et fuyant", dit Paul Claudel).
Contrairement à Henri Béraud, Henri Massis n'a jamais de ligne de conduite : anti-dreyfusard, nationaliste, catholique et anti-moderniste, il est aussi germanophobe, ce qui lui fera condamner le nazisme. Mais il écrira ses sympathies pour le régime fasciste de Mussolini, son appui à Salazar. Ainsi on peut lire dans sa biographie sur le site de l'Académie Française :
"Engagé aux côtés des intellectuels de droite, Henri Massis fut l’un des principaux rédacteurs du Manifeste des intellectuels français pour la défense de l’Occident et la paix en Europe, publié en octobre 1935 en soutien à la politique d’expansion mussolinienne. Il se rallia, après la défaite de 40, au maréchal Pétain, et occupa un temps un poste de chargé de mission au secrétariat général de la Jeunesse. Son anticollaborationnisme certain lui valut cependant, après un mois d’internement administratif à la Libération, de ne pas être autrement inquiété."
Henri Massis a en effet été élu à l'Académie Française le 19 mai 1960, après un échec en 1956. "Ses essais et études sur Romain Rolland, Renan, France, Barrès, Psichari, Proust, Lyautey, Maurras, ses entretiens avec Mussolini, Salazar, Franco, ses écrits politiques, dont Défense de l’Occident, fut le plus célèbre, composent une œuvre nombreuse", précise encore le site de l'Académie.
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