L'édition des Romans et récits, œuvres lyriques et dramatiques* permet sinon un autre regard sur l'ensemble des œuvres d'André Gide, du moins un point de vue, disons, panoramique.
Dans ce panorama se déploient les vastes étendues de l'Immoraliste, des Nourritures terrestres ou des Faux Monnayeurs, les étranges reliefs du Voyage d'Urien, du Prométhée ou d'Œdipe, ou de non moins étranges Paludes.
Et puis il y a ces clairières presque invisibles, ces oasis au fond d'un vallon, ces dépressions du paysage que l'œil ne saisit qu'en approchant du ravin : El Hadj, Geneviève, Le Treizième Arbre, l'Art bitraire... Des textes courts, très courts parfois, qui isolés du reste de l'œuvre ne semblent pas appartenir à la même géographie.
Cette impression de décousu était d'autant plus forte pour les contemporains de Gide. D'une publication à la suivante, les lecteurs pouvaient s'égarer. Gide ne livrait pas les pièces du puzzle dans un ordre cohérent et c'est tout juste si certaines pièces n'étaient pas volontairement tronquées pour réserver à plus tard l'image finale...
Même les plus fidèles d'entre les fidèles – Roger Martin du Gard par exemple – se demandaient parfois si certaines pièces étaient absolument nécessaires, tel ce Treizième arbre. Les deux volumes des Romans et récits reconstituent le puzzle et l'on voit bien que chacune a sa place. Même l'inachevé Geneviève qui ne constitue pas pour autant un manque.
L'image reconstituée ou, pour reprendre ma métaphore topographique, la géographie gidienne se dévoile. Complexe certes puisqu'elle englobe aussi des territoires lointains, du Congo à l'URSS. Et qu'à cette première carte il convient encore d'ajouter en surimpression les voies de communication que fournit le Journal. Pas d'autoroute comme chez d'autres auteurs mais des sentiers, des chemins de traverse, des petites routes sinueuses et en pente, d'audacieux parapets.
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* Sous la direction de Pierre Masson, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2009. Coffret de 2 volumes ISBN 9782070124794.
Je m'aperçois d'ailleurs que la présentation de l'éditeur dit sans doute mieux que moi cette impression que j'essaie de noter ici : "Ces deux volumes regroupent tous les textes de « fiction » de Gide, qu’ils soient narratifs ou dramatiques. En dépit de leur variété générique, leur unité est profonde. Très tôt, Gide décida de se construire, c’est-à-dire de se concevoir comme un puzzle où sa diversité pourrait exposer toutes ses facettes et néanmoins, à un niveau supérieur, affirmer une cohérence secrète. Habiter par la vision de ses livres futurs, il se dit persuadé qu’on ne pourra le comprendre qu’une fois que tous auront paru. Mais il n’a rien fait pour faciliter cette compréhension. En refusant ces repères que sont les genres littéraires convenus, en multipliant les textes atypiques, en modifiant selon sa fantaisie les étiquettes apposées sur ses livres et en ne perdant pas une occasion de discréditer l’illusion réaliste, il s’entend comme personne à brouiller les pistes. Peut-être fallait-il que le temps passe pour que le «contemporain» entre dans l’intemporel et pour que soit reconnue l’une des qualités par lesquelles cette œuvre trouve son unité : l’audace."
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