mercredi 29 décembre 2010

"Jacquot adapte Gide avec fidélité. Sans plus."

Critique de Télérama n°3181 du 1er janvier 2011 :


ELEGANT
Honnête faussaire
Jacquot adapte Gide avec fidélité. Sans plus.

S'il n'avait pas lu Les Faux-Monnayeurs à l'adolescence, Benoît Jac­quot n'aurait sans doute jamais fait de cinéma. Ce livre foison­nant lui a offert des histoires pour toute une vie. Que le ro­man d'André Gide, publié en 1925, soit réputé inadaptable a été pour lui une raison supplé­mentaire de s'y coller, des an­nées plus tard, par goût de la « contradiction ». Le cinéaste italien Luigi Comencini s'y était cassé la plume dans les années 1950, avant que Marc Allégret, compagnon de Gide, ne s'y essaye à son tour, en vain. C'est un livre impos­sible (comme le sont A la Re­cherche du temps perdu, de Marcel Proust, ou Voyage au bout de la nuit, de Louis-Ferdi­nand Céline, sur lesquels tant de réalisateurs ont achoppé). Un roman aux histoires mul­tiples, savamment imbriquées, superposant les niveaux de lec­ture (récit d'initiation, critique de la bourgeoisie, réflexion en abyme sur le réel et sa repré­sentation).

Il y a quelques années, Benoît Jacquot est tombé par hasard sur le projet d'adaptation de Marc Allégret. Ce fut le déclic : « II avait transposé l'intrigue dans les années 50, s'était laissé impressionner par la construc­tion en abyme. Selon moi, ça ne marchait pas. » Jacquot propo­se à France 2 l'option inverse : aucune trahison, mais le texte respecté à la lettre, dans ses deux ou trois histoires princi­pales (il évacue le personnage de Strouvilhou et l'épisode du trafic de fausse-monnaie). « J'ai eu le sentiment qu'il ne fallait pas fétichiser les procédés de Gide, certains effets de mo­dernité devenus tarte à la crè­me ou désuets. Pour restituer le charme général du roman, j'ai travaillé par soustraction, plu­tôt que par addition. » On retrou­ve ainsi les grands épisodes du livre - filmés avec une élégan­ce un peu froide - sans retrou­ver forcément le souffle qui le traverse. Jacquot soutient que « c'est un film personnel, que Gi­de aurait beaucoup aimé ». S'il reste très fidèle au roman, le cinéaste s'est offert plus de li­berté dans le casting. Pour in­carner les lycéens Bernard et Olivier, censés avoir 16 ans, il a choisi des comédiens qui en paraissent plutôt 14, accentuant la dimension sulfureuse du ré­cit et faisant clairement bascu­ler la relation ambiguë entre Olivier et Edouard du côté de la pédophilie. Benoît Jacquot s'en défend : « Le trouble aurait été plus fort, voire obscène, avec des comédiens plus âgés. Là, nous restons vraiment dans un désir non formulé. Dans une attirance qui tient à la fois de l'étrangeté et de l'angélisme. » On ne pose pas facilement des visages sur des mots. Sur ce point, le texte de Gide gardait l'avantage du flou. ERWAN DESPLANQUES

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