ELEGANT
Honnête faussaire
Jacquot adapte Gide avec fidélité. Sans plus.
S'il n'avait pas lu Les Faux-Monnayeurs à l'adolescence, Benoît Jacquot n'aurait sans doute jamais fait de cinéma. Ce livre foisonnant lui a offert des histoires pour toute une vie. Que le roman d'André Gide, publié en 1925, soit réputé inadaptable a été pour lui une raison supplémentaire de s'y coller, des années plus tard, par goût de la « contradiction ». Le cinéaste italien Luigi Comencini s'y était cassé la plume dans les années 1950, avant que Marc Allégret, compagnon de Gide, ne s'y essaye à son tour, en vain. C'est un livre impossible (comme le sont A la Recherche du temps perdu, de Marcel Proust, ou Voyage au bout de la nuit, de Louis-Ferdinand Céline, sur lesquels tant de réalisateurs ont achoppé). Un roman aux histoires multiples, savamment imbriquées, superposant les niveaux de lecture (récit d'initiation, critique de la bourgeoisie, réflexion en abyme sur le réel et sa représentation).
Il y a quelques années, Benoît Jacquot est tombé par hasard sur le projet d'adaptation de Marc Allégret. Ce fut le déclic : « II avait transposé l'intrigue dans les années 50, s'était laissé impressionner par la construction en abyme. Selon moi, ça ne marchait pas. » Jacquot propose à France 2 l'option inverse : aucune trahison, mais le texte respecté à la lettre, dans ses deux ou trois histoires principales (il évacue le personnage de Strouvilhou et l'épisode du trafic de fausse-monnaie). « J'ai eu le sentiment qu'il ne fallait pas fétichiser les procédés de Gide, certains effets de modernité devenus tarte à la crème ou désuets. Pour restituer le charme général du roman, j'ai travaillé par soustraction, plutôt que par addition. » On retrouve ainsi les grands épisodes du livre - filmés avec une élégance un peu froide - sans retrouver forcément le souffle qui le traverse. Jacquot soutient que « c'est un film personnel, que Gide aurait beaucoup aimé ». S'il reste très fidèle au roman, le cinéaste s'est offert plus de liberté dans le casting. Pour incarner les lycéens Bernard et Olivier, censés avoir 16 ans, il a choisi des comédiens qui en paraissent plutôt 14, accentuant la dimension sulfureuse du récit et faisant clairement basculer la relation ambiguë entre Olivier et Edouard du côté de la pédophilie. Benoît Jacquot s'en défend : « Le trouble aurait été plus fort, voire obscène, avec des comédiens plus âgés. Là, nous restons vraiment dans un désir non formulé. Dans une attirance qui tient à la fois de l'étrangeté et de l'angélisme. » On ne pose pas facilement des visages sur des mots. Sur ce point, le texte de Gide gardait l'avantage du flou. ERWAN DESPLANQUES
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