"Me voici tout contraint par mon passé. Pas un geste, aujourd'hui, que ce que j'étais hier ne détermine. Mais celui que je suis en cet instant, subit, fugace, irremplaçable, échappe...
Ah ! pouvoir échapper à moi-même ! Je bondirais par-dessus la contrainte où le respect de moi-même m'a soumis. Ma narine est ouverte aux vents. Ah ! Lever l'ancre, et pour la plus téméraire aventure... Et que cela ne tirât point à conséquence pour demain.
Mon esprit s'achoppe à ce mot : conséquence. La conséquence de nos actes; la conséquence avec moi-même. N'attendrai-je plus de moi qu'une suite ? Conséquence; compromissions; cheminement tracé par avance. Je veux ne plus marcher, mais bondir; d'un coup de jarret repousser, renier mon passé; n'avoir plus à tenir de promesses : j'en ai trop fait ! Avenir, que je t'aimerais infidèle !
Quel vent de mer ou de montagne emportera ton essor, ma pensée ? Oiseau bleu, frémissant et battant de l'aile, tu restes sur cette extrême roche escarpée; aussi loin que peut te porter le présent, tu t'avances, et de tout ton regard déjà tu t'élances, tu t'évades dans l'avenir.
Ô inquiétudes nouvelles ! Questions pas encore posées !... Mon tourment d'hier m'a lassé; j'en ai surépuisé l'amertume; je n'y crois plus; et je me penche sur le gouffre avenir sans vertige. Vents de l'abîme, emportez-moi !" (André Gide, Les Nouvelles Nourritures, 1935)
L'insaisissable Gide aura beaucoup consenti à la pose. J'en donnais quelques-unes ici. Son meilleur portrait reste pourtant celui brossé par Maria van Rysselberghe qui pendant trente-trois ans consigne dans ses Cahiers de la Petite Dame le bon et le mauvais profils de son grand homme. Il aura fallu attendre 2009, et la parution du catalogue de l'exposition des cent ans de la NRF, pour trouver une image vraiment ressemblante.
Cet échassier qui semble s'essorer, c'est bien André Gide. Plus que la posture du lecteur dans la bibliothèque ou de l'écrivain à la table de travail, c'est saisi en pleine course celle qui lui convient le mieux. Course du naturaliste derrière le papillon, du grand enfant pour amuser – et séduire – les petits, du joueur invétéré qui ne manque jamais une partie de tennis ou de ballon...
La Petite Dame confie que, jusqu'à un âge très avancé, Gide semait ses suiveurs. Cela vaut au propre comme au figuré. On l'attend ici, il est déjà loin devant. Sa pensée, d'abord indécise parce que suivant tous les méandres de la pensée des autres, trouve finalement sa pente naturelle, personnelle. Cela lui vaudra d'être taxé de faux et fuyant par Claudel et tous ses détracteurs toujours en retard d'un motif d'attaque.
D'où le flou. Artistique. Jamais l'épithète n'aura mieux convenu. Avec pourtant cette précision d'entomologiste qui transperce d'une aiguille le thorax d'un papillon. Oui, une image capitale pour comprendre André Gide, comme celle de Muybridge pour comprendre que le galop du cheval n'est qu'une succession de tentatives d'envols.
mardi 17 mars 2009
lundi 16 mars 2009
2000 ans d'histoire
... pour 100 ans de NRF. L'émission de France Inter diffusée aujourd'hui lundi 16 mars retrace l'histoire de la Nouvelle Revue Française. L'animateur Patrice Gélinet reçoit Alban Cerisier, archiviste aux éditions Gallimard, auteur de "Une histoire de NRF", commissaire de l'exposition à la Fondation Bodmer et co-auteur du catalogue de cette exposition. Avec des extraits d'archives sonores de Schlumberger, Gide, Malraux, Drieu, Paulhan.
On pourra ré-écouter cette émission pendant 30 jours sur le site de 2000 ans d'histoire (rubrique "archives").
On pourra ré-écouter cette émission pendant 30 jours sur le site de 2000 ans d'histoire (rubrique "archives").
lundi 9 mars 2009
Exposition à la Fondation Martin Bodmer
Après le triste raout du mois dernier rue Sébastien Bottin, c'est en Suisse qu'il faut aller pour la suite des célébrations du centenaire de la NRF. Dans la conurbation genevoise, sur les hauteurs de Cologny pour être précis, à la très prestigieuse Fondation Bodmer se tient l'exposition "En toutes lettres" jusqu'au 12 avril.
A deux pas de la Bible de Gutenberg, des Thèses de Luther et des éditions originales de Montaigne, Molière ou Shakespeare, des manuscrits, lettres, dessins et photographies retracent une partie des cent dernières années d'histoire de la littérature européenne. Il fallait oser, Alban Cerisier* l'a fait, comme il l'explique à Ghania Adamo, journaliste à Swissinfo.
Parmi tous les documents exposés on peut voir des lettres de Proust, Alain Fournier, Aragon, Artaud, Martin du Gard, Camus, Malraux ; des manuscrits ou épreuves corrigées de Paul Valéry, Gide ou Saint-John Perse ; des maquettes originales des premiers volumes de la maison d’édition, des publicités et des registres commerciaux...
Ou encore un exemplaire rarissime d’Isabelle d’André Gide, deuxième livre des éditions NRF, dont le tirage avait été pilonné selon le souhait de l’auteur. Empruntés à la bibliothèque Bodmer, figurent aussi les manuscrits des Caves du Vatican ou de Courrier Sud de Saint-Exupéry, œuvres pré-publiées dans la revue.
En attendant la tenue de cette exposition à Paris au printemps, on peut acquérir le catalogue de l'exposition avec un avant-propos de Jacques Réda et Michel Braudeau et des documents réunis par Marie-Noëlle Ampoulié, Alban Cerisier et Éric Legendre, commentés par Alban Cerisier, paru aux Éditions Gallimard. (112 pages, 32 euros).
Sur la toile, on peut découvrir les richesses de la Fondation Bodmer et de son musée mais aussi le site du centenaire de la NRF qui devrait permettre prochainement d'interroger l'ensemble du corpus de la revue. Un extrait du catalogue de l'exposition cité plus haut est à feuilleter ici, où l'on peut voir une superbe photographie inédite d'André Gide "l'insaisissable".
__________________________________
* Alban Cerisier est le commissaire de l'exposition et l'auteur de Une histoire de la NRF parue chez Gallimard.
A deux pas de la Bible de Gutenberg, des Thèses de Luther et des éditions originales de Montaigne, Molière ou Shakespeare, des manuscrits, lettres, dessins et photographies retracent une partie des cent dernières années d'histoire de la littérature européenne. Il fallait oser, Alban Cerisier* l'a fait, comme il l'explique à Ghania Adamo, journaliste à Swissinfo.
Parmi tous les documents exposés on peut voir des lettres de Proust, Alain Fournier, Aragon, Artaud, Martin du Gard, Camus, Malraux ; des manuscrits ou épreuves corrigées de Paul Valéry, Gide ou Saint-John Perse ; des maquettes originales des premiers volumes de la maison d’édition, des publicités et des registres commerciaux...
Ou encore un exemplaire rarissime d’Isabelle d’André Gide, deuxième livre des éditions NRF, dont le tirage avait été pilonné selon le souhait de l’auteur. Empruntés à la bibliothèque Bodmer, figurent aussi les manuscrits des Caves du Vatican ou de Courrier Sud de Saint-Exupéry, œuvres pré-publiées dans la revue.
En attendant la tenue de cette exposition à Paris au printemps, on peut acquérir le catalogue de l'exposition avec un avant-propos de Jacques Réda et Michel Braudeau et des documents réunis par Marie-Noëlle Ampoulié, Alban Cerisier et Éric Legendre, commentés par Alban Cerisier, paru aux Éditions Gallimard. (112 pages, 32 euros).
Sur la toile, on peut découvrir les richesses de la Fondation Bodmer et de son musée mais aussi le site du centenaire de la NRF qui devrait permettre prochainement d'interroger l'ensemble du corpus de la revue. Un extrait du catalogue de l'exposition cité plus haut est à feuilleter ici, où l'on peut voir une superbe photographie inédite d'André Gide "l'insaisissable".
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* Alban Cerisier est le commissaire de l'exposition et l'auteur de Une histoire de la NRF parue chez Gallimard.
Carlos Fuentes : les identités de l'écrivain
"Tous les écrivains intéressants sont dans cette recherche constante d'identités, de nombreuses identités. Nous ne nous contentons pas d'une seule identité attribuée. Je lisais récemment un livre sur la vie de Gide: si André Gide s'était contenté d'être un enfant protestant de la classe moyenne, comme le souhaitait sa mère, il ne serait pas devenu André Gide. Il devait se rebeller contre ça, établir une distance, se chercher une identité nouvelle et construire son monde aussi."
entretien avec Delphine Peras
Lire, mars 2009
entretien avec Delphine Peras
Lire, mars 2009
dimanche 1 mars 2009
Mauriac et le petit tas de secrets
C'est "le livre dont on parle". Mais aussi et surtout celui dont on ne parlera pas ici ou là, malgré l'entêtante odeur de soufre... La "Biographie intime" de François Mauriac par Jean-Luc Barré, paraîtra le 4 mars aux éditions Fayard (lire ici un entretien que l'auteur a donné à Sud-Ouest). Une biographie solide parce que bien étayée, délibérément placée sous la révélation de l'homosexualité de Mauriac pour éclairer l'homme et l'oeuvre d'une lumière nouvelle.
Je crois Jean d'Ormesson lorsqu'il dit : "Ce livre aurait été impossible il y a trente ans, difficile il y a vingt, compliqué il y a dix." Je songe à cette vieille dame que j'ai bien connue, gaulliste en diable, pour qui "ces choses là ne se disent pas". Je pardonne à Lacouture qui, dans sa biographie de Mauriac a travesti un ami de Mauriac en amiE. Nombreux étaient d'ailleurs ceux qui connaissaient la bosse que l'écrivain tentait de cacher sous l'habit religieux.
Oui, une malformation comme Mauriac l'écrit en 1950 dans Les paroles restent : "L'erreur littéraire de Gide, à mon avis, c'est d'avoir agité un drapeau sur l'homosexualité. L'homosexualité n'est pas une cause. C'est comme un bossu qui crierait " Vive les bosses !" ; ça n'a pas de sens." Quelque chose avec quoi il faut vivre et pas seulement la "crise" qu'il prétend lorsqu'il demande à récupérer les lettres compromettantes que Daniel Guérin a en sa possession...
A ceux qui ne verront là qu'un objet de scandale ou une biographie "orientée", je recommande de relire Mauriac maintenant qu'ils savent : "Même dans l'état de grâce, mes créatures naissent du plus trouble de moi-même; elles se forment de ce qui subsiste en moi malgré moi." De l'Enfant chargé de chaînes à Thérèse Desqueyroux, et jusque dans les réflexions à genoux du Bloc-Notes la lecture de Mauriac prend une palette plus vive.
Citant Malraux, d'autres diront : "Sous l'artiste, on veut atteindre l'homme. Grattons jusqu'à la honte la fresque. Nous finirons par trouver le plâtre." Là encore, c'est méconnaître Mauriac qui, dans Le Nouveau Bloc-Notes, écrit à l'entrée du 8 octobre 1967 :
""Un misérable petit tas de secrets", voilà à quoi André Malraux renvoie les écrivains qui n'auront pas été des héros, qui n'auront pas conversé avec Nehru et avec Mao Tsé-toung, enfin dont la vie n'aura pas été comme la sienne une aventure épique. Mais pour nous, ce n'est pas ce petit tas de secrets qui compte, c'est ce qu'au travers nous pouvons atteindre d'un être; cette part de lui-même que nous autres, pauvres chrétiens, nous appelons son âme.
Aucun secret n'est misérable s'il nous rapproche de cette source en nous et chez nos frères dont nous avons la folie de croire qu'elle ne s'épuisera jamais , qu'elle rejaillira en vie éternelle.
Il me semble que cette approche, à travers les confidences écrites d'un écrivain, de secrets que peut-être il arrange, il maquille, nous le fait connaître mieux qu'une psychanalyse et que c'est d'un autre ordre. Il n'y a pas de secret misérable, dès l'instant que c'est le secret d'un homme, et il n'y a pas d'explication ou d'excuse qu'il nous en donne qui ne soit à son insu révélatrice.
Révélatrice de quoi ? "D'ailleurs on s'en fout" disait Valéry à Malraux à propos d'André Gide. Ce mot sépare deux familles d'esprits."
Je crois Jean d'Ormesson lorsqu'il dit : "Ce livre aurait été impossible il y a trente ans, difficile il y a vingt, compliqué il y a dix." Je songe à cette vieille dame que j'ai bien connue, gaulliste en diable, pour qui "ces choses là ne se disent pas". Je pardonne à Lacouture qui, dans sa biographie de Mauriac a travesti un ami de Mauriac en amiE. Nombreux étaient d'ailleurs ceux qui connaissaient la bosse que l'écrivain tentait de cacher sous l'habit religieux.
Oui, une malformation comme Mauriac l'écrit en 1950 dans Les paroles restent : "L'erreur littéraire de Gide, à mon avis, c'est d'avoir agité un drapeau sur l'homosexualité. L'homosexualité n'est pas une cause. C'est comme un bossu qui crierait " Vive les bosses !" ; ça n'a pas de sens." Quelque chose avec quoi il faut vivre et pas seulement la "crise" qu'il prétend lorsqu'il demande à récupérer les lettres compromettantes que Daniel Guérin a en sa possession...
A ceux qui ne verront là qu'un objet de scandale ou une biographie "orientée", je recommande de relire Mauriac maintenant qu'ils savent : "Même dans l'état de grâce, mes créatures naissent du plus trouble de moi-même; elles se forment de ce qui subsiste en moi malgré moi." De l'Enfant chargé de chaînes à Thérèse Desqueyroux, et jusque dans les réflexions à genoux du Bloc-Notes la lecture de Mauriac prend une palette plus vive.
Citant Malraux, d'autres diront : "Sous l'artiste, on veut atteindre l'homme. Grattons jusqu'à la honte la fresque. Nous finirons par trouver le plâtre." Là encore, c'est méconnaître Mauriac qui, dans Le Nouveau Bloc-Notes, écrit à l'entrée du 8 octobre 1967 :
""Un misérable petit tas de secrets", voilà à quoi André Malraux renvoie les écrivains qui n'auront pas été des héros, qui n'auront pas conversé avec Nehru et avec Mao Tsé-toung, enfin dont la vie n'aura pas été comme la sienne une aventure épique. Mais pour nous, ce n'est pas ce petit tas de secrets qui compte, c'est ce qu'au travers nous pouvons atteindre d'un être; cette part de lui-même que nous autres, pauvres chrétiens, nous appelons son âme.
Aucun secret n'est misérable s'il nous rapproche de cette source en nous et chez nos frères dont nous avons la folie de croire qu'elle ne s'épuisera jamais , qu'elle rejaillira en vie éternelle.
Il me semble que cette approche, à travers les confidences écrites d'un écrivain, de secrets que peut-être il arrange, il maquille, nous le fait connaître mieux qu'une psychanalyse et que c'est d'un autre ordre. Il n'y a pas de secret misérable, dès l'instant que c'est le secret d'un homme, et il n'y a pas d'explication ou d'excuse qu'il nous en donne qui ne soit à son insu révélatrice.
Révélatrice de quoi ? "D'ailleurs on s'en fout" disait Valéry à Malraux à propos d'André Gide. Ce mot sépare deux familles d'esprits."
Gide à la mode ?
100 ans de la NRF, rééditions de ses oeuvres en format de poche ou dans la prestigieuse Pléiade*, ou de sa correspondance avec Paul Valery**, Gide est à la une, peut-être même à la mode... Claude Arnaud dans Le Point signe l'un de ces articles frivoles qui brossent à grands coups d'à peu près la vie d'un prétendu "jouisseur". On relira plutôt le mieux inspiré "Seigneur du Vaneau" paru en janvier 2007 toujours dans Le Point.
Pourtant... Pourtant... Il y a dans ces approches d'André Gide par le versant biographique ("Il faut suivre sa pente, surtout si elle est montante.") une fascination pour l'homme qui en dit long sur notre époque. Le Magazine Littéraire du mois de mars fait de Gide "le plus moderne des classiques" en ce sens qu'il serait le précurseur du nouveau roman et de l'autofiction.
Le Magazine Littéraire revient également abondamment sur la vie d'André Gide, ses contradictions, ses engagements, ses moeurs. La "modernité" d'André Gide, sa "permanence" comme on disait naguère ou l'annonce un peu partout d'un "André Gide vivant" et d'une "écriture vive" sont peut-être autant de signes qu'il y a là de quoi penser à nouveau et différemment la société, la famille, la morale et peut-être aussi la littérature...
_________________________
* Romans et récits, Ouvres lyriques et dramatiques, 2 tomes (Pléiade, Gallimard), parution le 19 mars.
** André Gide-Paul Valéry, Correspondance 1890-1942, nouvelle édition par Peter Fawcett, Gallimard.
Pourtant... Pourtant... Il y a dans ces approches d'André Gide par le versant biographique ("Il faut suivre sa pente, surtout si elle est montante.") une fascination pour l'homme qui en dit long sur notre époque. Le Magazine Littéraire du mois de mars fait de Gide "le plus moderne des classiques" en ce sens qu'il serait le précurseur du nouveau roman et de l'autofiction.
Le Magazine Littéraire revient également abondamment sur la vie d'André Gide, ses contradictions, ses engagements, ses moeurs. La "modernité" d'André Gide, sa "permanence" comme on disait naguère ou l'annonce un peu partout d'un "André Gide vivant" et d'une "écriture vive" sont peut-être autant de signes qu'il y a là de quoi penser à nouveau et différemment la société, la famille, la morale et peut-être aussi la littérature...
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* Romans et récits, Ouvres lyriques et dramatiques, 2 tomes (Pléiade, Gallimard), parution le 19 mars.
** André Gide-Paul Valéry, Correspondance 1890-1942, nouvelle édition par Peter Fawcett, Gallimard.
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