samedi 16 janvier 2010

André Gide par lui-même

Pour débuter l'année et répondre à une demande qui m'a été envoyée, j'entame une revue de quelques-uns des meilleurs livres permettant d'aborder l'homme et l'œuvre - biographies, ouvrages de critique générale ou abordant un thème particulier mais embrassant la vie entière de Gide. Je commence avec l'un des meilleurs à mon avis : André Gide par lui-même, de Claude Martin.


«Nous vint l'idée de petits livres où des écrivains de toujours seraient à la fois relus par des écrivains d'aujourd'hui et présentés en une brève anthologie, par eux-mêmes. On convenait aussi qu'il y faudrait des illustrations. Et l'on commanda un Victor Hugo à Henri Guillemin, un Stendhal à Claude Roy. Aux problèmes techniques soulevés par cette nouvelle formule en collection de poche, Marie-Jeanne Noirot, responsable de notre fabrication, sut trouver des solutions heureuses, aujourd'hui encore en application.»*

Fin 49, les éditions du Seuil décident de confier à Albert Béguin et Francis Jeanson le lancement de la collection Ecrivains de toujours. Les premiers titres paraissent à l'été 1951 : Colette par elle-même, Victor Hugo par lui même de Henri Guillemin, Stendhal par lui-même de Claude Roy, Montaigne par lui-même de Francis Jeanson, Flaubert par lui-même de Jean de la Varende**.

Le succès est immédiat, dû à l'originalité et à la qualité de la forme. Les Ecrivains de toujours sont des livres de poche d'avant la lettre, avec néanmoins de très bonnes illustrations. Mais on s'étonne encore aujourd'hui de la qualité et de l'originalité du contenu : ce n'est pas encore le verbiage universitaire, la part belle est donnée aux textes de l'auteur traité et le commentaire est toujours celui d'un amoureux plus que d'un spécialiste.


André Gide par lui-même, de Claude Martin

Collection Ecrivains de toujours, n°62
Le Seuil, 1963


C'est ainsi que pour André Gide par lui-même, qui paraît en 1963 sous la direction de Monique Nathan et avec une maquette de Mathilde Rieussec, on fait appel à Claude Martin. «Infatigable instigateur des études gidiennes et de leur double transformation en des collections d'ouvrages et en un réseau d'amitié», dit de lui Pierre Masson qui ajoute ceci : «L'érudition, sous sa conduite, n'a pas stérilisé les études gidiennes.»***

Ce Gide par lui-même est en effet le moins stérile des ouvrages d'érudition consacrés à Gide. Ouvrage d'érudition car il n'est pas une simple biographie mais, comme le veut le principe de la collection, aussi une étude des grands thèmes gidiens, textes à l'appui, un précis de psychologie gidienne et un trousseau de clés pour ouvrir toutes les portes d'une œuvre et d'une pensée protéiformes.

Comme chaque fois chez Claude Martin, qui étudiera «le courage de s'engager», «la maturité» ou «la vocation du bonheur»**** chez Gide, c'est toute l'humanité de l'auteur qui sert de fil conducteur au travers de chapitres intitulés «Le fils», «Madeleine», «L'Afrique», «Le Ciel et l'Enfer», «Thésée» et «De Cuverville». Ce dernier et court chapitre sert de conclusion :

«Avatar de l'humanisme, l'œuvre d'André Gide, jusque dans ses failles, reste pantelante d'une irrécusable vie. Profondément traditionnelle et radicalement révolutionnaire, elle témoigne d'une conscience probe et courageuse de la grandeur immanente de l'homme. Si doivent jamais advenir quelques amoindrissements de la liberté, on ne pourra pas ne pas se souvenir - ingratement ou non, mais Gide s'en fût-il vraiment soucié ?- de cet exemple, dût-on quitter ensuite la ligne de crête où sa gloire fut de se maintenir, pour choisir et s'engager, c'est-à-dire, pour un temps, le renier...»

Un dernier mot pour signaler tout de même les nombreux documents iconographiques parsemés dans ce livre de 192 pages (quel exploit, tout de même...) et prêtés par Catherine Gide, Dominique Drouin, Marc Allégret ou le Fonds Gide de la bibliothèque littéraire Jacques Doucet : lettrines ouvrant les chapitres qui sont celles dessinées par Marchand pour Les Nourritures terrestres, pages des manuscrits et nombreuses photographies rares.

Des voix chez les gidiens souhaitent la réédition de cet André Gide par lui-même, on ne peut que s'y associer. Il en existe une édition augmentée (224 pages) publiée en 1995, elle aussi épuisée***** [Faux ! Au temps pour moi ! Voir rectificatif ci-dessous]. Et des traductions en allemand (Rowohlt, 1963), en chinois (San Lian Shu Dian, 1992) et même en japonais par Akio Yoshii (Presses universitaires du Kyushu, 2003), signes là encore que cet ouvrage a su traverser l'espace... et le temps.


Rectificatif : Un lecteur anonyme mais attentif me signale qu'on trouve encore ce livre sous le simple titre "Gide", toujours au Seuil. En effet, avec le portrait de Théo van Rysselberghe (1907) en couverture, l'édition revue et augmentée de 1995 est toujours rééditée et disponible.


Gide, de Claude Martin
collection Ecrivains de toujours
Seuil, 2001, ISBN 2-02-023491-2

____________________________

*Sur le seuil, 1935-1979, éditions du Seuil, 1979. Sans mention d'auteur, cet opuscule est toutefois souvent attribué à Jean Bardet et Paul Flamand, les fondateurs des éditions du Seuil.

**Les premiers titres ne sont pas numérotés (ils le seront à partir de 1953) et sans mention du directeur de collection. Si Colette par elle-même a été le premier titre mis en vente, c'est lors de cette future numérotation que le Victor Hugo deviendra le premier numéro.

*** BAAG n°163, juillet 2009, « La main passe, le message demeure », hommage de forme paludéenne rendu par Pierre Masson à son prédécesseur à la présidence des Amis d'André Gide

****Voir ces autres ouvrages de Claude Martin :

La Maturité d'André Gide. De "Paludes" à "L'Immoraliste" (1895-1902). Klincksieck, 1977

Ramon Fernandez, Gide ou le courage de s'engager, Klincksieck, 1985, [réédition de : André Gide, Corrêa, 1931, augmentée de textes inédits, établie et commentée par Claude Martin, avec une préface de Pierre Masson]

André Gide ou la vocation du bonheur, Fayard, 1998

*****On le trouve encore cependant assez facilement chez les bouquinistes ou sur les sites de livres d'occasion à des prix allant de 10 à 30 euros.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Non, non. Ce petit livre, excellent, de Claude Martin est toujours disponible, sous un nouveau titre "Gide" au même éditeur (nouvelle éd. revue et augmentée, 1995).

Fabrice a dit…

Merci pour cette précision, j'en étais resté aux allégations de Michel Vignard dans l'émission de France Inter...

Philippe Brin a dit…

Le grand mérite de cet ouvrage, dont l'excellence est reconnue, est de donner envie au lecteur d'aller plus loin, plus près.