dimanche 23 décembre 2007

La Petite Dame et le grand homme

De quelle nature était exactement la relation entre la Petite Dame et le Bypeed ? Ces deux-là se sont reconnus très rapidement : "[nous sommes] devenus amis tout de suite, sautant par-dessus le stade de la relation", écrit Maria Van Rysselberghe dans "Depuis que vous n'êtes plus", sa part d'éloge dans l'Hommage à André Gide paru à la NRF après sa mort.

Il entrait dans le sentiment de la Petite Dame beaucoup d'admiration, qu'elle dit à maintes reprises au long de ses Cahiers. Non pas une idolâtrie. Mais tout de même beaucoup de dévouement et de bonne volonté face aux caprices du génie. Il surgissait souvent dans ses appartements, à tout propos, souvent pour un conseil ou une demande d'aide.

La Petite Dame se plaît à répéter combien Gide est humble face aux critiques qu'il attend, qu'il encourage, que ce soit de la part de Mme Théo ou de ses amis Shlumberger et Martin du Gard. Sans doute lui doit-on plus d'une correction, plus d'une simplification de phrase, d'un éclaircissement d'idées.

Mais à les voir ainsi, lorsque le Vaneau avait retrouvé le calme, jouer à la crapette ou grignoter des cerises, c'est l'image d'une vie de couple qui ne manque pas d'étonner. Un couple libre, assexué, fondé sur l'estime, l'amour de l'art, le travail littéraire... Un couple comme Gide aurait aimé probablement en former avec son épouse "légitime" Madeleine.

Non sans humour, Peter Schnyder, dans le texte de son intervention au colloque des Amis d'André Gide de 1988, soulève un point essentiel : "Elle manifeste [dans ses Cahiers] une compréhension très poussée de Gide et qui surgit dès le début. Par exemple, Gide dit en riant : « Je devrais toujours vous avoir derrière moi. » ( Les Lacaniens apprécieront !)"

Gide laisse d'ailleurs échapper un autre lapsus le 27 septembre 1934 et la Petite Dame le trouve assez significatif pour le consigner : "Gide me dit "mon vieux" : c'est la première fois que ça lui arrive et il s'en excuse." Quand il l'appelle "Mme Théo", n'est-ce pas aussi une façon de la masculiniser ? Elle-même n'avait-elle pas pris le pseudonyme littéraire de M. Saint-Clair (en référence à la maison de Saint-Clair dans le midi de la France qu'elle aimait beaucoup) ?

Sans doute ne faut-il pas être trop catégorique ni pousser trop loin cette analyse. Si Gide trébuche parfois sur le genre, c'est que incontestablement Maria Van Rysselberghe joue tout à la fois le rôle d'aide féminine pour le matériel et celui de compagnon de route, d'alter-ego en pensée et en action. Pour lui, nul doute que la Petite Dame était aussi un grand homme.

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