Portrait-robot de l'académicien : c'est un homme de plus de 60 ans ; il est blanc, catholique, tendance droite libérale, hétérosexuel et porte un habit vert. Le 7 février dernier, le journal Le Monde, sous les plumes d'Ariane Chemin et Alain Beuve-Méry, annonçait le désir de rajeunissement et "d'ouverture" de l'Académie Française qui a perdu neuf de ses Immortels ces derniers mois... Mais les impétrants font défaut.
Le Monde cite un extrait du discours de réception de Dominique Fernandez le 16 décembre dernier, qui aurait ému la docte assemblée :
"Et quel émoi lorsque, le 16 décembre 2007, Dominique Fernandez a loué l'homosexualité ! "L'engagement devrait rester une priorité pour les écrivains (...). Le meilleur Gide est celui qui a pris la défense de l'homosexualité." Jusqu'à présent, on ignorait poliment le sujet. Déjà, quelques semaines plus tôt, lors d'une des séances du dictionnaire, l'écrivain Angelo Rinaldi avait proposé une nouvelle acception du mot "relaps" - qui se dit usuellement d'un chrétien retombé dans l'hérésie. "On utilise aussi ce terme pour certaines catégories de personnes qui refusent de se protéger...", lance l'auteur des Roses de Pline. "Mon cher confrère, dans quel grand texte de la littérature avez-vous rencontré ce sens ?", l'interroge l'historien Marc Fumaroli. "Dans des revues, mon cher confrère, que vous ne lisez pas", a répondu Rinaldi."
Fernandez ne s'en tenait pas à l'homosexualité, qu'on lise son discours en intégralité :
"L’engagement, pourtant, devrait rester une priorité pour les écrivains. Qu’on se souvienne que le meilleur Hugo est peut-être celui du Dernier jour d’un condamné et de Claude Gueux ; le meilleur Dickens, celui qui a dénoncé le scandale de l’exploitation des enfants ; le meilleur Tolstoï, celui qui s’est élevé contre les horreurs de la guerre et en particulier, dans son merveilleux récit Hadji Mourat, de la guerre, déjà sanglante en 1851, de Tchétchénie ; le meilleur Gide, celui qui a pris la défense de l’homosexualité, critiqué les abus du colonialisme, percé à jour l’imposture stalinienne."
L'Académie, Gide aurait pu y prétendre dès son Corydon et déjà il était très partagé. "Cela n'est pas dans ma ligne", "Je ne pourrais plus écrire ce que je voudrais", affirmait-il tout en cherchant autour de lui des avis contraires, valse-hésitation qui lui est coutumière. Mais son entourage proche y a toujours été hostile, de la Petite Dame à Roger Martin du Gard surtout (Gide alla même jusqu'à se proposer d'entrer à l'Académie à la condition que Martin du Gard y entrât aussi, ce qui mit l'auteur des Thibault très en colère...).
C'est surtout après la seconde guerre mondiale que la question se fait pressante. Epuration et mortalité créent bien la saignée qu'évoque le Monde sous la coupole. De Gaulle veut redonner ses lettres de noblesse à l'institution pour le prestige de la France et propose à quelques écrivains d'y entrer sans avoir à faire pour cela les démarches traditionnelles dont les visites : Gide, Martin du Gard, Claudel, Jules Romain, Aragon, Paulhan, Eluard, Malraux...
Gide en est d'autant plus tenté que le fauteuil de son ami Valery, et par conséquent son éloge, lui reviennent.
Et pourtant, Gide n'avait pas vu pas d'un bon oeil l'élection de Paul Valéry à l'Académie, désapprouvant toute la part de mondanité et d'hypocrisie que cela lui demandait. Gide trouve pourtant dans l'exemple de Valéry académicien une façon d'avancer Gide académicien :
"Il a pris cela comme une partie d'échecs qu'il s'agissait de gagner. Je crois que lui-même n'y attachait pas une très grande importance. [...] C'était une revanche contre Anatole France", explique Gide dans ses entretiens avec Jean Amrouche. Valéry avait en effet déclenché un scandale quand, s'installant dans le fauteuil de France, il n'avait pas même prononcé son nom... Valéry lui reprochant d'avoir parlé de façon très désobligeante de Rimbaud et de n'être qu'un très piètre écrivain. Prendre le fauteuil de Valéry était pour Gide une manière de reprendre le flambeau, de faire l'éloge de son ami et aussi de répondre aux positions de Maurras.
Gide aurait donc pu lui aussi envisager son entrée parmi les immortels comme "un jeu d'échecs", feignant de ne pas y attacher une grande importance. On sait pourtant combien il était devenu soucieux de son image, incarnant si bien le grand écrivain. La panoplie de l'académicien aurait complété ce déguisement s'il ne s'était alors trouvé dans son entourage des amis fidèles pour lui rappeler précisément que c'était là un déguisement...
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