lundi 20 juillet 2009

Bonsoir les choses d'ici bas

Dans le Monde des Livres du 16 juillet dernier, Jean-Philippe Rossignol signe un étonnant article sur le Journal de Valery Larbaud qui vient de paraître chez Gallimard. Il s'ouvre par cette phrase qui donne le ton : « Valery Larbaud arrive à temps. » Et tout au long de sa critique, M. Rossignol semble en effet découvrir Larbaud.

Si cette nouvelle édition du Journal de Larbaud est très largement inédite, deux volumes parus en 1954 et 1955 donnaient aussi le ton. De même que ses Poèmes d'un riche amateur (1908), sa Fermina Marquez (1911), son Barnabooth (1913), ses Amants, heureux amants (1921) ou Jaune, Bleu, Blanc (1927). Si Larbaud arrive à temps, c'est que Rossignol arrive en retard.

Il faut dire que de la littérature du début du vingtième siècle, le critique ne retient qu'un « sinistre paysage » : « D'un côté, les écrivains de gauche, les conformistes, ceux-là mêmes classés par Céline dans la catégorie comique des "sous-Zola sans essor" ; de l'autre, les adeptes de Maurras et du sentiment de décadence. » Notons au passage que M. Rossignol ne sait pas que c'est la critique qui, selon Céline dans Bagatelles pour un massacre, a traité ce dernier de « sous-Zola sans essor »...

Et sur Gide : « A la même période (toujours sur le territoire de La NRF), Gide essaie de prendre les choses en main dans ses essais critiques. Goethe, Shakespeare ou Joseph Conrad. Beau travail d'archéologie. Mais, hélas, le souffle de l'étranger ne passe pas dans ses romans. Histoires poussiéreuses, personnages sans corps et aux noms impossibles, grande tradition de l'interdit, de la honte. Gide rate le coche et s'engouffre dans une porte étroite. »

Conrad, de l'archéologie ? Et Bennett ? Et Rabindranath Tagore ? Et Withman que Larbaud traduisit également ?

Histoire poussiéreuse Les Nourritures Terrestres ? Et Paludes dont Larbaud disait : « Ce livre était trop en avance sur le goût moyen de l'époque où il parut ; qu'au point de vue esthétique, il s'écartait trop définitivement du Réalisme, dont les formules étaient familières au public, et de l'école du roman psychologique encore en pleine floraison. » dans la NRF de juillet 1921 ?

Tradition de l'interdit et de la honte, Corydon, Si le grain ne meurt, L'Immoraliste, Amyntas ?

Quant aux « personnages aux noms impossibles » (Barnabooth !), cela est tellement bête que les bras nous en tombent. Et le reste avec au jeu de mots sur la porte étroite... Pourtant, M. Rossignol, avec un nom pareil, doit savoir ce qu'il en est de la fiente de l'esprit qui vole.

Pour le reste, M. Rossignol fait de l'homme du dialogue intérieur une sorte de sur-Morand, cosmopolite et polyglotte. Larbaud ne fait nullement passer « le souffle de l'étranger dans ses romans ». En être fin, cultivé, amateur de fiches et de meubles de rangement qui vont avec (on peut visiter à la bibliothèque de Vichy la reconstitution de son bureau), Valery Larbaud rangeait chaque culture dans un compartiment (de première, ajouterait M. Rossignol). Larbaud chantait la différence, l'altérité, célébrait l'étranger, et non le melting-pot. Il ne mélangeait pas, il traduisait.

A la lecture de phrases aussi incompréhensibles que « Sa compréhension du français - scansion et mesure - le mène ailleurs, ce qui est rare » (quel est l'ailleurs rare de la compréhension du français ?), « A la même période (toujours sur le territoire de La NRF) » (il n'est pas question de la NRF avant cette incise), ou « Aux quatre points de l'Europe » (sic), on se dit qu'il ne peut s'agir que d'un papier écrit à la hussarde, vite, avant les congés estivaux.

Oui, M. Rossignol découvrant Larbaud : un hussard qui arrive en retard. On s'affligerait de la tenue de la critique littéraire si dans son introduction, le critique ne donnait lui-même l'explication de cet état désastreux du journalisme : « Le Journal s'ouvre en 1901. On le lit dans son intégralité. » Les autres livres, manifestement pas.

3 commentaires:

GV a dit…

merci d'avoir relevé ce passage du monde des livres. Une critique si bête de Gide méritait une réponse !

Fabrice a dit…

Gidien mais pas gidolâtre, je suis prêt à entendre beaucoup de critiques et même à en partager certaines comme en témoignent certains billets ici... C'est comme vous l'inanité de cet article qui m'a étonné. Merci de votre visite et de votre commentaire.

Fabrice a dit…

J'ajoute que j'aurais volontiers ajouté ce texte en commentaire sur le site du monde.fr, mais c'est une fonction qui est réservée aux abonnés. Etrange vase clos...