"Gide ne savait pas parler. [...] J'ai assisté à presque toutes les séances d'enregistrement. Gide bégayait, toussait, crachait. reniflait... C'était ahurissant. Finalement le monteur sortait vingt minutes d'entretiens de deux heures d'enregistrement, à coup de ciseaux. Après ça, Gide venait entendre la bande. Il était tout étonné de voir ce que ça donnait. Bref, on y est arrivé, et ensuite ça a marché comme sur des roulettes. L'impulsion était donnée, c'était ce que j'espérais. Et je me disais "Puisque Gide est venu, tout le monde va suivre."" (Témoignage d'Henry Barraud, propos recueillis en 1982, Cahiers d'histoire de la radiodiffusion n°43, décembre 1994)
Henry Barraud était un compositeur et fut nommé directeur musical de la Radiodiffusion française en 1944. En 1948, il est directeur de la chaîne nationale RTF, puis de l'ORTF, poste qu'il conserve jusqu'à sa retraite en 1965. Il a initié les grands entretiens avec les artistes en 1949 avec les célèbres entretiens de Gide avec Jean Amrouche.
8 commentaires:
André Gide avoue d'emblée qu'il accepte " d'être pris au débotté " et qu'il a choisi de ne pas préparer ces entretiens!...
Certes, mais...
Il y a là aussi tout le Gide embrouillé, coutumier. Qui dit finalement peu de choses.
Face à lui cet exaspérant Amrouche...
Et enfin, je trouve, dans ce témoignage, l'explication que malgré tout cela (il faudrait des italiques)ces entretiens frôlent parfois Gide de très près.
En envoyant mon commentaire je songe :
Si l'on frôle Gide, c'est précisément grâce à (ou à cause de) ce montage qui à sa manière prolonge le montage dans l'œuvre.
"Victor", le fameux "Victor" de Tunis, pendant la guerre, de son vrai nom François Reymond de Gentile, qui a écrit - sans doute avec l'aide d'Amrouche, son futur beau-père - son remarquable témoignage dans "L'envers du Journal de Gide", accablant pour l'"0ncle André", est bourgeoisement décédé dans son XVIème arrt à la fin de l'année derniere (2010). Il figurait dans le Who'sWho depuis 1969 en tant que haut magistrat à la Cour des Comptes. Il semble qu'il n'ait jamais évoqué sa relation ombrageuse avec Gide, depuis la mort de celui-ci. Quelqu'un est-il jamais allé l'interroger un jour ? En tout cas sa mort n'a été mentionnée nulle part, y compris dans E-Gide. Qui se décidera à écrire un jour le grand livre, la somme, sur la "vieillesse de Gide" (un peu comme M-J Durruy avait écrit ses deux volumes sur "La vieillesse de Chateaubriand") : Il y'a pléthore d'ouvrages sur la jeunesse de Gide (facile : il suffit de recopier J. Delay) mais rien sur les années de son veuvage (pour faire court), les plus passionnantes. Le Goethe de la rue Vanneau, l'auteur de l'exquis "Ainsi-soit-il" est , à mes yeux autrement passionant que le guide symboliste des "Nourritures".
L'annonce de la mort de F. Reymond de Gentile semble être en effet passée inaperçue. Merci de permettre de consigner ce fait dans le site et n'hésitez pas à me transmettre tout autre élément en votre possession.
La Correspondance Gide-Amrouche (Ed. Pierre Masson et Guy Dugas, PUL, 2010) éclaire un peu le sujet de "L'envers du Journal de Gide", du rôle d'Amrouche et des échanges à ce moment entre Gide et Victor. Gide exprime d'ailleurs ses regrets dans une lettre à Amrouche après avoir lu le manuscrit de Victor.
En attendant de lire ce que Frank Lestringant fera dans le deuxième tome de la biographie de Gide, on peut en effet rêver d'une "Vieillesse de Gide"... Les sources ne manquent pas, de Thomas à Levesque en passant par Kempf, Brenner, et bien sûr les Green, RMG ou Herbart... et j'en oublie !
Je vous remercie Fabrice et suis d'accord avec tout ce que vous dites. Question : pensez-vous vraiment que la biographie de Lestringuant aura une suite, qu'elle ne sera pas frappée de la même malédiction que les précédentes, y compris celle de Claude Martin ? Je n'ai pas acheté cet énième tome I, je parle de Lestringuant. J'ai tous les autres et je me méfie de ce dernier biographe en date : né l'année de la mort de Gide, il n'avait, de son propre aveu, jamais ouvert un de ses livres il y' a à peine cinq ans !
Pour ce qui est des sources de la dernière période de Gide, vous avez raison, elles sont innombrables. Beaucoup sont malveillantes , elles en sont pas moins interéssantes. Je pense au petit livre de l'ouvrier Maurice Lime, paru, comme bien d'autres juste après la mort de Gide , comme les livres de Claude Mauriac, de Schlumberger ou ce témoignage de Victor que j'ai toujours trouvé remarquable, en dépit de son acrimonie. Je me permets d'attirer votre attention sur un autre témoignage de cette époque (la guerre, l'Afrique du Nord) : je veux parler de "Gide aux oasis" de Marcelle Schveitzer ( ca 1970). On y assiste à l'équipée de Gide en Algérie au printemps 1945. C'est passionant et surtout très drôle quand on compare avec les notes de La Petite Dame que se trouvait là en même temps. Il n'y'a curieusement pas de Journal de Gide à cette époque : il savait que Madame en tenait un, quand à Madame Van Ryselberghe, il devait s'en douter. C'est ce que je pense depuis longtemps. Je ne sais pas du tout quand Madame Schveizer ( née en 1911) est morte, sans doute trés récemment. Je regrette de n'avoir pas acheté son press-book qui trainait sur un marché, ici à Toulouse, et qui contenait force documents de sa carrière de compositrice, des autographes de Lorca et autres. Amrouche en parle dans son journal, il la désigne, ainsi que Jules Roy, du nom de La Dogaresse. Tout ce petit monde intellectuel de Tunis-Alger se connaissait et se fréquentait : la dame en question parle elle aussi de "victor", sans le nommer, disant qu'il était "un des plus beaux adolescent qu'elle ait jamais vue". Merci pour votre patience.
Je suis très partagé quant à la biographie de Lestringant. En tant que biographie cette première partie n'apporte rien à la connaissance de Gide sinon un document plus touffu que les précédents pour découvrir l'homme et ses temps. Formé d'une succession de chapitres qui sont pour certains des études thématiques en eux-mêmes, le livre ne convainc pas dans l'ensemble - pléthore de croquis préparatoires ne fait pas une œuvre finie. Et pourtant certains chapitres sont des livres potentiels intéressants (Gide et ses peintres, Gide et la peinture, le milieu protestant dont Lestringant est un bon connaisseur...) Il y a aussi cette question de « l'idiosyncrasie » sexuelle de Gide traitée par le petit bout de la lorgnette moraliste actuelle et tout un fatras psychologisant archaïque (Louÿs homosexuel rentré...) Je ne parviens pas encore à mettre mes idées en forme pour en donner un compte-rendu mais le genre d'échanges que vous suscitez m'aide ! Je partage par exemple totalement votre remarque sur sa « découverte » tardive de Gide et par le prisme de la seule recherche scientifique qui me semble un double handicap. Attendons la suite, puisque les malédictions sont faites pour êtres levées...
Pour « Gide aux oasis », vous faites remonter des souvenirs de lectures ! Me permettez-vous d'utiliser vos informations et commentaires pour un futur billet sur le sujet, où l'on pourrait commencer de verser l'ensemble des sources bibliographiques et des témoignages repérés pour cette période en Afrique du Nord ?
Mais comment donc cher Fabrice que je vous permets d'utiliser..tout ce que voudrez. En attendant je suis très satisfait des vos précieux avis sur le Lestringant. Votre analyse, fine, détaillée m'épargnera une dépense inutile. J'arrête de vous importuner, bonsoir.
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