mercredi 26 décembre 2007

Gide et les femmes : Juliette

Il y a d'abord Juliette Gide, madame mère, volontiers décrite comme asphyxiante voire castratrice. Fille d'un industriel rouennais, protestante intégrale, Juliette Gide cumulait les valeurs bourgeoises aux préjugés moraux. Mais contre toute attente, elle s'avère, tout en restant fortement protectrice, étonnamment lucide sinon compréhensive. Comme si dès le plus jeune âge de son fils, elle avait perçu qu'il n'était pas comme les autres...






Juliette Gide et André

Aussi ce ne fut pas une surprise quand le petit André s'écriait "Je ne suis pas pareil aux autres ! Je ne suis pas pareil aux autres !" (Si le grain ne meurt). Il a onze quand son père meurt et se retrouve face à sa mère. "Et je me sentis soudain tout enveloppé par cet amour, qui désormais se refermait sur moi." (Si le grain ne meurt). C'est en fait autour du couple mère-fils que se referme le cocon d'où la chenille André sortira papillon Gide.

"Je n’avais pas douze ans lorsque je perdis mon père. Ma mère, que plus rien ne retenait au Havre, où mon père avait été médecin, décida de venir habiter Paris, estimant que j’y finirais mieux mes études. elle loua, près du Luxembourg, un petit appartement, que Miss Ashburton vint occuper avec nous. Miss Flora Ashburton, qui n'avait plus de famille, avait été d'abord l'institutrice de ma mère, puis sa compagne et bientôt son amie. Je vivais auprès de ces deux femmes à l'air également doux et triste, et que je ne puis revoir qu'en deuil. Un jour, et, je pense, assez longtemps après la mort de mon père, ma mère avait remplacé par un ruban mauve le ruban noir de son bonnet du matin:

"O maman! m'étais-je écrié, comme cette couleur te va mal!"

Le lendemain elle avait remis un ruban noir." (La Porte Etroite)

Simulées ou non, les crises du jeunes André lui épargnent une formation classique : il ne peut suivre les cours. De cure en cure, André Gide s'adonne à l'observation naturaliste, si importante pour lui tout au long de sa vie et au coeur de ses oeuvres futures. Juliette Gide encourage sa formation intellectuelle, sa vocation d'homme de lettres. Lorsqu'il s'agit de payer les frais d'édition des premiers livres de son fils, elle écrit dans son livre de comptes : "Frais de carrière d'André".

Lorsqu'elle sent que André lui échappe, son goût du voyage émancipateur l'entraînant en Allemagne puis en Afrique du Nord, ses lettres se font plus réprobatrices. Mais dans les siennes, André ne cache rien – ou si peu – à sa mère, que la confiance mutuelle, échappant aux convenances religieuses et morales, ne cesse pas lorsqu'ils se retrouvent.

Si Juliette Gide débarque à Biskra, en Algérie, ce n'est pas pour mettre un terme au périple initiatique sensuel de son fils, mais parce qu'il est malade et qu'elle s'inquiète. Ledit périple reprendra d'ailleurs sans elle. Un autre suivra, un an plus tard, toujours en Algérie, où André reçoit les lettres maternelles toujours aussi véhémentes. Mais à son retour, c'est encore une fois la mère et non le juge qui l'accueille.

Juliette Gide sera d'ailleurs la seule de la famille à encourager finalement le mariage d'André avec sa cousine germaine Madeleine, mariage qui se fera peu de temps après la mort de Madame Gide le 31 mai 1895. Gide écrit alors :

"Je me sentais, pareil au prisonnier brusquement élargi, pris de vertige, pareil au cerf-volant dont on aurait coupé la corde, à la barque en rupture d'amarre, à l'épave dont le vent et le flot vont jouer. Il ne restait à quoi me raccrocher que mon amour pour ma cousine, ma volonté de l'épouser, seule orientait ma vie. "

Il se fiance en juin et en octobre, au temple d'Etretat épouse Madeleine Rondeaux. La nouvelle Madame Gide prend d'une certaine manière le relais de la mère.

Sur Juliette Gide :
La Porte étroite, Mercure de France, 1909 / Folio, Gallimard, 1972
Si le grain ne meurt, NRF, 1926 / Folio, Gallimard, 1972
Juliette Gide-André Gide (275 lettres, 1880-1895), éd. Claude Martin, Gallimard, 1988

dimanche 23 décembre 2007

La Petite Dame et le grand homme

De quelle nature était exactement la relation entre la Petite Dame et le Bypeed ? Ces deux-là se sont reconnus très rapidement : "[nous sommes] devenus amis tout de suite, sautant par-dessus le stade de la relation", écrit Maria Van Rysselberghe dans "Depuis que vous n'êtes plus", sa part d'éloge dans l'Hommage à André Gide paru à la NRF après sa mort.

Il entrait dans le sentiment de la Petite Dame beaucoup d'admiration, qu'elle dit à maintes reprises au long de ses Cahiers. Non pas une idolâtrie. Mais tout de même beaucoup de dévouement et de bonne volonté face aux caprices du génie. Il surgissait souvent dans ses appartements, à tout propos, souvent pour un conseil ou une demande d'aide.

La Petite Dame se plaît à répéter combien Gide est humble face aux critiques qu'il attend, qu'il encourage, que ce soit de la part de Mme Théo ou de ses amis Shlumberger et Martin du Gard. Sans doute lui doit-on plus d'une correction, plus d'une simplification de phrase, d'un éclaircissement d'idées.

Mais à les voir ainsi, lorsque le Vaneau avait retrouvé le calme, jouer à la crapette ou grignoter des cerises, c'est l'image d'une vie de couple qui ne manque pas d'étonner. Un couple libre, assexué, fondé sur l'estime, l'amour de l'art, le travail littéraire... Un couple comme Gide aurait aimé probablement en former avec son épouse "légitime" Madeleine.

Non sans humour, Peter Schnyder, dans le texte de son intervention au colloque des Amis d'André Gide de 1988, soulève un point essentiel : "Elle manifeste [dans ses Cahiers] une compréhension très poussée de Gide et qui surgit dès le début. Par exemple, Gide dit en riant : « Je devrais toujours vous avoir derrière moi. » ( Les Lacaniens apprécieront !)"

Gide laisse d'ailleurs échapper un autre lapsus le 27 septembre 1934 et la Petite Dame le trouve assez significatif pour le consigner : "Gide me dit "mon vieux" : c'est la première fois que ça lui arrive et il s'en excuse." Quand il l'appelle "Mme Théo", n'est-ce pas aussi une façon de la masculiniser ? Elle-même n'avait-elle pas pris le pseudonyme littéraire de M. Saint-Clair (en référence à la maison de Saint-Clair dans le midi de la France qu'elle aimait beaucoup) ?

Sans doute ne faut-il pas être trop catégorique ni pousser trop loin cette analyse. Si Gide trébuche parfois sur le genre, c'est que incontestablement Maria Van Rysselberghe joue tout à la fois le rôle d'aide féminine pour le matériel et celui de compagnon de route, d'alter-ego en pensée et en action. Pour lui, nul doute que la Petite Dame était aussi un grand homme.

samedi 22 décembre 2007

Sur les Cahiers de la Petite Dame

A lire en ligne sur le site des Amis d'André Gide :

Dr. Peter SCHNYDER, « LES CAHIERS DE LA PETITE DAME. Notes pour une Histoire authentique d'André Gide », Colloque « 1918 dans l'itinéraire d'André Gide » [Paris, Sénat, 1988], Bulletin des Amis d'André Gide, n° 78-79, avril-juillet 1988, pp. 115-123.

vendredi 21 décembre 2007

Gide et les femmes : Maria

"Dater de la victoire ce cahier, où je prends la résolution de noter pour toi, selon la promesse que je te fis, tout ce qui éclaire la figure de notre ami et dont je suis témoin, m'incite à commencer aujourd'hui. Cela me coûte un grand effort : sentiment d'insuffisance d'abord, et aussi celui d'avoir trop tardé. Que de choses importantes j'aurais déjà pu conserver ainsi ! Mais, avec lui, le plus extraordinaire n'est-il pas toujours à venir ?"


Ainsi débute le 11 novembre 1918, le premier des Cahiers de la Petite Dame(1). Leur auteur, Maria Van Rysselberghe, en remplira dix-neuf jusqu'à la mort d'André Gide. Des notes sur la vie avec l'écrivain, prises à son insu, qu'elle destine tout d'abord à son amie Aline Mayrisch alias "Loup". Elles deviendront des "Notes pour l'histoire authentique d'André Gide" au fur et à mesure que l'oeuvre prend de l'ampleur, ardemment soutenue par les rares amis de Gide mis dans la confidence, Jean Schlumberger et Roger Martin du Gard.

Maria Monnom est née le 9 février 1866 à Bruxelles. Fille des célèbres éditeurs bruxellois Monnom, sa mère reste connue sous le nom d'éditeur apposé sur tant de livres d'avant-garde : "Veuve Monnom". Elle publie notamment les poèmes d'Emile Verhaeren. La jeune Maria aura une passion brève avec le poète qu'elle racontera des années plus tard, exactement "Quarante ans après"(2). Verhaeren est celui qui découvre le peintre Théo Van Rysselberghe que Maria va épouser le 16 septembre 1889.


Portrait de Marie Monnom par Fernand Khnopff (Musée d'Orsay)


C'est à cette même période qu'elle fait la connaissance d'André Gide grâce son mari dont il était l'ami. Pendant la seconde guerre mondiale, ils se côtoient régulièrement au sein du Foyer Franco-Belge qu'elle anime et qui aide les réfugiés des territoires envahis. Naissent alors leurs surnoms respectifs : Gide devient "le Bipède", puis "Bypeed"; Maria Van Rysselberghe, qui mesure un mètre cinquante-deux, "la Petite Dame" ou encore "Mme Théo" parfois dans le Journal de Gide.

Elevée dans un milieu qui fait fi des moeurs bourgeoises de l'époque, le Petite Dame est la confidente des amours secrètes du Bypeed en même temps que son premier soutien littéraire, souvent sans complaisance. Elle déserte le foyer conjugal, passant plus temps auprès de Gide que de Théo. C'est qu'un autre secret allait bientôt les unir...
Après avoir encouragé le rapprochement de son ami d'alors Marc Allégret avec la fille de Maria, Elisabeth Van Rysselberghe, Gide en était venu à imaginer que ces deux-là lui fissent un enfant par procuration – ses noces avec sa cousine Madeleine ne devant jamais être consommées. Ce rapprochement ne dura qu'un temps et c'est Gide lui-même qui fit savoir à Elisabeth qu'il désirait un enfant d'elle.


André Gide, Maria et Elisabeth Van Rysselberghe entourant Catherine,
derrière, Roger Matin du Gard

"... et c'est ainsi qu'un dimanche de juillet, au bord de la mer dans la solitude matinale d'un beau jour, fut conçu l'enfant que nous attendons. Maintenant il veut y voir sa destinée, et que cela devait être ainsi." La Petite Dame ne s'offusque en rien, ce 30 août 1922, en reprenant la longue histoire qui amena Gide à l'évènement le plus inattendu de sa "destinée". Catherine naîtra le 18 avril 1923. Il l'adoptera en 1938, après la mort de Madeleine.

L'oeil de peintre de Théo Van Rysselberghe devait pourtant percer à jour l'étrange ressemblance entre l'enfant et son ami Gide... Mais Maria est loin, ou pour mieux dire, près de Gide. Théo Van Rysselberghe meurt en 1926. En 1928 elle s'installe avec son Bypeed sur le même palier de l'immeuble du Vaneau. Gide annexe ses appartements à l'occasion de visites fréquentes, de siestes dans ses chambres.


Portrait de Maria Van Rysselberghe par Théo Van Rysselberghe



La Petite Dame poursuit sa prise de notes en cachette jusqu'à la mort de Gide. Pour lui qui ne croit pas aux écrits posthumes, voilà sans doute l'oeuvre la plus précieuse, celle qui aura le mieux dressé son portrait. L'avant-veille de cette mort, le 17 février 1951, elle tente de tout lui avouer :

"Vous m'entendez bien ?" (Vague signe.) "Il y a une chose que je voulais vous dire depuis quelques temps : vous avez toujours déploré de vivre au milieu de muets, eh bien ! Sachez que je tiens depuis trente ans un journal de votre vie, où j'ai relaté tout ce que j'ai pu, n'ayant qu'un souci : vous montrer dans votre intégrité." Visage impassible; petit geste pour m'arrêter, puis : "Au revoir." Dans un éclair, j'ai la certitude qu'il m'éloigne pour mieux absorber, comprendre ce que je viens de lui dire; puis cela s'efface : non, sans doute rien n'est entré en lui, et mon geste fut vain."



La Petite Dame et le Bypeed


(1) Les Cahiers de la Petite Dame, I, II,III, IV sont parus dans les Cahiers André Gide 4, 5, 6 et 7, publications de l'Association des Amis d'André Gide, NRF, Gallimard
Je ne sais si nous avons dit d'impérissables choses, anthologie des Cahiers de la Petite Dame, Folio, Gallimard
(2) Il y a quarante ans, suivi de Strophes pour un Rossignol et Galerie Privée, Editions Labor

lundi 17 décembre 2007

De Paludes à Pintades

"Là, j'ai dû relire mes livres, il y avait si longtemps... Parmi eux, il y en a un qui est bien, c'est Pintades. Il se place dans la tradition de la littérature. C'est un épigone de Paludes mais il est honorable.C'est très beau Paludes et d'une modernité! Pintades a paru à l'époque où on avait un ministre de la police qui s'appelait Marcellin. Il mettait tout le monde sur écoute. Moi, il me fallait sept mille balles, j'ai décidé de faire comme lui. J'avais relu Paludes peu de temps auparavant et j'ai réalisé que le livre n'existait plus. J'ai branché un magnétophone sur le téléphone et j'ai appelé tous mes copains pour leur demander s'ils connaissaient Paludes, Angelo Rinaldi, etc.. Je ne les nommais pas parce qu'ils disaient des conneries énormes sur un livre qu'ils ignoraient. J'ai simplement retranscrit les âneries. Évidemment on ne peut pas parler de Paludes quand nos propres contemporains sont des trous du cul.
À qui pensez-vous?
À tous les types de ma génération qui croient avoir inventé quelque chose. C'est pour ça qu'ils rejettent les anciens dans le passé en les déclarant archaïques. Il faut bien décider que les autres sont archaïques pour avoir la possibilité de penser qu'il y a un peu de modernité dans nos propres écrits. La vieille Gide avait tout découvert. Il respirait instinctivement la littérature. Ça vient de sa vie très rigoureuse. Ce qui n'est pas le cas de la nôtre."

René-Nicolas Ehni, article du Matricule des Anges n°030 mars-mai 2000, entretien avec Eric Dussert

Pintades, 1974, Christian Bourgeois Editeur

Quatrième de couverture :

"Au Zanzibar de la rue Broca à Paris, la gauloise aux lèvres, un oeil vague sur Libération, il attend silencieux : On se connaît ? Le tutoiement facile et l'ardoise pleine, René Ehni a l'air d'un écrivain, n'est-ce pas merveilleusement rare ? Pour l'auteur de ce petit livre grave, hymne d'amour pur à l'oeuvre de Gide, hymne d'humour féroce à la condition de l'homme de lettres, sa démarche mérite une certaine explication : Je ne sais pas moi-même si j'ai lu Paludes un jour. Ce que j'affirme c'est que quelqu'un comme Gide me paraît tout à fait exceptionnel dans le sens où il a été le premier à nous dire sans ambiguïté et sans brouiller les cartes que nous ne sommes jamais maîtres de notre corps. Maintenant, si tout au long de mon livre, je me complais à interroger les gens pour savoir si oui ou non ils ont lu Paludes, c'est surtout parce que j'ai tenté de faire une caricature de ces gens que je rencontre à Paris au cours de dîners en ville et qui ont la sensation de parler culture quand ils s'interrogent eux-mêmes pour savoir s'ils ont vu tel ou tel film, telle ou telle pièce. Tout cela me dégoûte, car leur seul souci est de rester à la mode.

Jean-Marc Roberts, Le Quotidien de Paris (1974)"

vendredi 14 décembre 2007

Villa Montmorency

"Dans cette pièce , qui ne fut jamais achevée, quelques beaux meubles, d'autres quelconques; sur le piano à queue encombré de musiques et de discours, il y a trois chapeaux; sur les tables et les fauteuils, un amoncellement de livres, de papiers, de revues; par terre, devant la grande fenêtre, un vase de prix en vieux chêne est calé dans une position oblique par des rayons de bibliothèque et des boites de cigarettes vides, et recueille l'eau qui s'échappe d'un tuyau de chauffage détérioré. Plus loin, devant la fresque de Piot qui décore la cheminée, le couvercle de la machine à écrire, et deux grandes corbeilles à papier bondées de papiers déchirés; un peu partout, des photographies de parents, d'amis, de grands hommes, de paysages d'Algérie, sèchent en se recroquevillant, sauvetage récent d'une inondation qui s'est produite dans son cabinet de travail; elles voisinent avec des fonds de tiroirs mis au jour, etc., et sur le dossier de chaque siège il y a un manteau"

Description par Maria van Rysselberghe du salon de la maison de la Villa Montmorency le 20 avril 1922.

Gide habita cette maison qu'il fit construire sur les plans de Louis Bonnier, architecte en chef de la ville de Paris au 18 bis, avenue des Sycomores, de la mi-février 1906 au début d'août 1928. Il avait vendu en 1900 le château maternel de La Roque-Baignard et le bénéfice de cette vente permit d'acquérir le terrain de l'avenue des Sycomores. Les travaux de construction débutèrent en 1904.

"Cette singulière maison de la Villa Montmorency, dont il condamnait véhémentement l'architecte pour son a-conception de l'éclairage et du chauffage. (...) C'était une simili-forteresse, percée de meurtrières, où l'on découvrait un singulier entrelacs de petites pièces et de couloirs autour de l'immense salle des gardes qu'était la bibliothèque."

Jean Loisy, Souvenirs et notes sur André Gide, Bulletin des Amis d'André Gide n°39, juillet 1978.

"On allait le voir le plus souvent à Auteuil, dans sa "villa" de l'avenue des Sycomores, bâtisse baroque, en style 1900, avec des fenêtres hublots étagées le long de la façade.

Une vieille bonne, un peu infirme, que Gide gardait par bonté, ouvrait la porte. On attendait dans un hall nu, en pierre, d'où partait un escalier de bois avec une rampe rouge. Dans l'ombre une très vaste composition de Maurice Denis : Hommage à Cézanne, dont Gide a fait don tout récemment au Luxembourg.

Un claquement de pupitre mettait fin à un morceau de piano. Des portes se fermaient. Dans le lointain, on entendait la voix perçante de Gide. Il apparaissait, avec un tricot dont les manches "dépassaient" et des mitaines aux mains :

— Je vous attendais, disait-il...

On avait aussitôt l'impression qu'il se réjouissait de vous retrouver, que son temps était à vous ; et la conversation s'engageait sur un ton familier et charmant.
La "villa" était si vaste qu'il fallait, pour se chauffer, s'approcher d'une grande cheminée sans trappe. Tout le reste de la pièce était sombre, triste, presque noir. Sur une petite table, une lampe de bureau, seule clarté. On se réfugiait avec Gide dans ce coin de chaleur et de lumière. Assis de biais, tournant presque le dos à l'interlocuteur, il se penchait en avant sur lui-même, ou se balançait, le genou dans ses mains. De temps à autre, il ajoutait une bûche et tisonnait le feu avec des pincettes."

Léon Pierre-Quint, André Gide L'homme sa vie - son oeuvre Entretiens avec Gide et ses contemporains, 1952, Stock

Victor Hugo habita la Villa Montmorency, au 5 de l'avenue des Sycomores, d'août à octobre 1873.

mercredi 12 décembre 2007

Précieux

"Le lendemain pendant que je déjeune, il m'apporte de la correspondance à lire et je lui dis : "Je me suis bien énervée à vous lire hier soir... en effet, tout est loin d'être du meilleur, et puis, cher, vous commencez à prendre des tics de langage, vous retombez souvent dans certaines grâces de tournure qui perdent leur vertu à devenir une habitude." Son visage est tout intéressé et interrogateur, puis il rit de bon coeur parce que je lui dis d'un ton exaspéré : "Vous ne direz donc jamais une fois, simplement : Ce beurre est jaune ! Non , il faut que vous disiez : Que ce beurre soit jaune, certes, il serait folie de le nier! - Oui dit-il ironiquement, c'est ce qu'on appelle le mouvement de la phrase! - Mais oui, je sais, personne ne goûte cela plus que moi, mais que cela ne devienne pas une manie."

Cahiers de la Petite Dame, tome 2, 1929-1937, 10 juin 1933, p. 318, Gallimard

"Ecriture "précieuse" d'André Gide : Nous étions assis sous une treille non point si épaisse qu'on ne pût voir entre les larges feuilles de la vigne des rappels d'un azur profond (Ainsi soit-il, p.115).
Il y a là un indiscutable ridicule, mais j'en reste néanmoins très impressionné."

Journal Extime, Michel Tournier, Folio, p. 223

Gide le vertébré

"Dans l'ordre de l'esprit, on doit opposer l'agilité et l'ouverture des sceptiques à la protection paralysante d'une pensée dogmatique. Sous sa carapace de convictions, le croyant jouit d'un confort moral qu'il considère comme sa juste récompense de bien-pensant. Mais dans ce confort la part de la surdité et de la cécité aux autres est grande. Parfois pourtant le croyant entrevoit avec envie la liberté du sceptique, tel François Mauriac fasciné par la souplesse et la fraîcheur d'esprit d'André Gide.

CITATION

Inimitable André Gide ! Avec quelle feintise il sut toujours se débarrasser de ses adversaires pesamment armés ! Comme il eut tôt fait de les abattre les uns après les autres et ils s'écroulaient dans le fracas de leur cuirasse maurassienne et de leur armure thomiste. Et lui, si leste, dans le pourpoint et sous la cape de Mephistophélès (mais n'était-il pas plutôt Faust déguisé avec les défroques du diable ?) il enjambait leurs corps, et courait à ses plaisirs ou à ses lectures.

Mémoires intérieurs
François Mauriac"

Le Miroir des Idées, Le vertébré et le crustacé, Michel Tournier, Mercure de France 1994

Lieux de lecture

"RONDE
POUR ADORER CE QUE J'AI BRULE

Il y a des livres qu'on lit, assis sur une petite planchette
Devant un pupitre d'écolier.

Il y a des livres qu'on lit en marche
(Et c'est aussi à cause de leur format);
Tels sont pour les forêts, tels sont pour d'autres campagnes,
Et nobiscum rusticantur, dit Cicéron.
Il y en a que je lus en diligence;
D'autres couché au fond des greniers à foin."

Les Nourritures Terrestres, 1897

"Les lectures très importantes que je pus faire à La Roque sont restées liées au souvenir des lieux. Je me souviens très précisément de la grange où étendu dans le foin je pus lire pour la première fois Eugénie Grandet.
Je me souviens également avec une grande précision de la position que j'avais prise, je lisais debout quand j'ai découvert les Elégies Romaines de Goethe. Cela a été un bouleversement pour moi."

Entretiens avec Jean Amrouche, 1949

Le Livre des Merveilles

"Tout enfant, l'un des premiers livres que mes parents m'avaient donné à lire – et ils ont eu mille fois raison – est le charmant livre de Hawthorne, l'auteur de La Lettre Ecarlate, l'auteur américain, qui s'appelle je crois "Le Livre des Merveilles", du moins il a été traduit sous ce titre. Ce sont deux volumes que bien peu d'enfants aujourd'hui connaissent et qui avaient paru dans la Bibliothèque Rose. Ils racontent toute une série d'histoires grecques d'une façon charmante, enfantine si l'on veut, et sont aujourd'hui je crois à peu près inconnus. (...) J'ai donc été nourri par la fable grecque, nourri par l'Iliade et l'Odyssée aussi et par tous les "alentours"."

Entretiens avec Jean Amrouche, 1949

"Le Livre des Merveilles" ("A Wonder Book for Girls and Boys") de Nathaniel Hawthorne a été écrit en 1852, traduit et publié en français en 1858 (?). Il est disponible aujourd'hui en deux tomes publiés par Pocket Jeunesse.