Juliette Gide et André
Aussi ce ne fut pas une surprise quand le petit André s'écriait "Je ne suis pas pareil aux autres ! Je ne suis pas pareil aux autres !" (Si le grain ne meurt). Il a onze quand son père meurt et se retrouve face à sa mère. "Et je me sentis soudain tout enveloppé par cet amour, qui désormais se refermait sur moi." (Si le grain ne meurt). C'est en fait autour du couple mère-fils que se referme le cocon d'où la chenille André sortira papillon Gide.
"Je n’avais pas douze ans lorsque je perdis mon père. Ma mère, que plus rien ne retenait au Havre, où mon père avait été médecin, décida de venir habiter Paris, estimant que j’y finirais mieux mes études. elle loua, près du Luxembourg, un petit appartement, que Miss Ashburton vint occuper avec nous. Miss Flora Ashburton, qui n'avait plus de famille, avait été d'abord l'institutrice de ma mère, puis sa compagne et bientôt son amie. Je vivais auprès de ces deux femmes à l'air également doux et triste, et que je ne puis revoir qu'en deuil. Un jour, et, je pense, assez longtemps après la mort de mon père, ma mère avait remplacé par un ruban mauve le ruban noir de son bonnet du matin:
"O maman! m'étais-je écrié, comme cette couleur te va mal!"
Le lendemain elle avait remis un ruban noir." (La Porte Etroite)
Simulées ou non, les crises du jeunes André lui épargnent une formation classique : il ne peut suivre les cours. De cure en cure, André Gide s'adonne à l'observation naturaliste, si importante pour lui tout au long de sa vie et au coeur de ses oeuvres futures. Juliette Gide encourage sa formation intellectuelle, sa vocation d'homme de lettres. Lorsqu'il s'agit de payer les frais d'édition des premiers livres de son fils, elle écrit dans son livre de comptes : "Frais de carrière d'André".
Lorsqu'elle sent que André lui échappe, son goût du voyage émancipateur l'entraînant en Allemagne puis en Afrique du Nord, ses lettres se font plus réprobatrices. Mais dans les siennes, André ne cache rien – ou si peu – à sa mère, que la confiance mutuelle, échappant aux convenances religieuses et morales, ne cesse pas lorsqu'ils se retrouvent.
Si Juliette Gide débarque à Biskra, en Algérie, ce n'est pas pour mettre un terme au périple initiatique sensuel de son fils, mais parce qu'il est malade et qu'elle s'inquiète. Ledit périple reprendra d'ailleurs sans elle. Un autre suivra, un an plus tard, toujours en Algérie, où André reçoit les lettres maternelles toujours aussi véhémentes. Mais à son retour, c'est encore une fois la mère et non le juge qui l'accueille.
Juliette Gide sera d'ailleurs la seule de la famille à encourager finalement le mariage d'André avec sa cousine germaine Madeleine, mariage qui se fera peu de temps après la mort de Madame Gide le 31 mai 1895. Gide écrit alors :
"Je me sentais, pareil au prisonnier brusquement élargi, pris de vertige, pareil au cerf-volant dont on aurait coupé la corde, à la barque en rupture d'amarre, à l'épave dont le vent et le flot vont jouer. Il ne restait à quoi me raccrocher que mon amour pour ma cousine, ma volonté de l'épouser, seule orientait ma vie. "
Il se fiance en juin et en octobre, au temple d'Etretat épouse Madeleine Rondeaux. La nouvelle Madame Gide prend d'une certaine manière le relais de la mère.
Sur Juliette Gide :
La Porte étroite, Mercure de France, 1909 / Folio, Gallimard, 1972
Si le grain ne meurt, NRF, 1926 / Folio, Gallimard, 1972
Juliette Gide-André Gide (275 lettres, 1880-1895), éd. Claude Martin, Gallimard, 1988