C'est finalement mercredi 5 janvier à 20h35 que France2 diffusera l'adaptation des Faux-monnayeurs par Benoît Jacquot. Des extraits sont à découvrir avec l'interviou du réalisateur et de l'acteur principal Melvil Poupaud dans
la nouvelle page des documents vidéo.
Adaptations d’Henry James (Les Ailes de la Colombe, La Bête dans la jungle), de Marivaux (La Vie de Marianne, La fausse suivante), de Benjamin Constant (Adolphe), de Pascal Quignard (Villa Amalia), etc., fictions originales (Sade, Le Septième ciel…), documentaires (Jacques Lacan…), l’œuvre cinématographique multiforme de Benoit Jacquot est tendue entre classicisme et modernisme, travaillée par le réel, la littérature, le désir, l’inconscient. Elle compte une trentaine de longs métrages pour le grand écran et la télévision. Le dernier film de cinéma de Benoit Jacquot, Au fond des bois, est sorti en octobre 2010.
Pourquoi Les Faux-monnayeurs ? Pourquoi à la télévision ?
Benoit Jacquot :Les Faux-monnayeurs est sans doute l’un des tout premiers films que j’ai voulu faire. J’ai lu le roman très jeune, à l’âge de ses jeunes protagonistes, au moment où je me suis mis en tête que je serais cinéaste et rien d’autre. C’est même un désir qui m’a pris en le lisant, je crois. Bien que Gide, à ma connaissance, n’en ait jamais parlé, il y a quelque chose de feuilletonesque dans Les Faux-monnayeurs. Sur un mode extrêmement retors et complexe. Des rebondissements, des personnages qui se cherchent, qui se trouvent, qui se perdent…, qui constituent un monde en soi, vivant selon un temps qui est celui du roman. À certains égards, il y a quelque chose de balzacien. L’idée est restée en moi, à l’état latent, réapparaissant de temps à autres, et ce n’est finalement qu’il y a une dizaine d’années que j’ai commencé à penser sérieusement avec un ami producteur à monter ce projet pour le cinéma. Nous nous sommes vite rendu compte que nous aurions un mal de chien à le faire aboutir, pour diverses raisons liées au commerce cinématographique et dont la moindre n’était pas la question de la durée, puisque j’imaginais alors un film bien plus long qu’il ne l’est aujourd’hui. Ce n’est pas impossible au cinéma mais c’est rare parce que c’est risqué. Mais, au fond, cette impasse m’a beaucoup servi en me permettant d’identifier ce qui pouvait être problématique dans cette… j’ai horreur du mot « adaptation », disons dans le fait de transformer ce roman en film. Plusieurs cinéastes en ont rêvé, certains sont même allés très loin, comme Luigi Comencini. À la Gaumont, durant les « années Toscan », on y a beaucoup réfléchi. Généralement, cela provoque un grand enthousiasme avant de buter sur des écueils qui visiblement dégonflent tout. Enfin, il y a quelques années, une amie m’a montré les tapuscrits d’un projet d’adaptation des Faux-monnayeurs pour Marc Allégret, qui a été comme on sait à la fois un cinéaste renommé et l’intime de Gide. Lisant cela, qui avait beaucoup d’intérêt mais était totalement impraticable, j’ai senti la corde se tendre de nouveau. Ce qui s’est accompagné de deux décisions : proposer ce film à la télévision et m’attaquer seul au scénario. « Attaquer » est le mot juste parce que j’y suis allé brutalement, c’est-à-dire que j’ai fait des gestes qui peuvent sembler discrets à présent mais qui, sur le moment, étaient violents. J’ai « rechronologisé » le roman, laissé de côté des pans entiers de l’histoire, des situations, des personnages. J’ai tenté de « linéariser » sans perdre le feuilleté de l’écriture de Gide. La fameuse mise en abyme, qui retient beaucoup les commentateurs, j’ai essayé de ne pas la fétichiser, de ne pas la considérer comme incontournable, mais plutôt de donner un équivalent du monde des Faux-monnayeurs.
Le « monde des Faux-monnayeurs », c’était cela, votre « hypothèse de cinéma » – pour reprendre une expression que vous avez employée récemment pour parler de votre dernier film, Au fond des bois –, davantage que l’aspect formel du roman ?
Benoit Jacquot : Ce n’est pas tant le geste littéraire que la mise en place très particulière, unique, singulière d’un univers qui m’a touché en tant que lecteur et qui pourra sans doute en toucher beaucoup d’autres, longtemps encore. Ce qu’on appelle la modernité des Faux-monnayeurs est pour moi un peu une tarte à la crème, un lieu commun, un cliché académique. Ça s’enseigne dans les écoles et c’est sans doute très amusant mais je ne crois pas que ce soit ce qui fait la force et la pérennité de ce livre. C’est plutôt, il me semble, cet aspect constamment paradoxal, notamment dans le fait que tout y est en même temps singulier et universel, et ce monde qui se constitue, à la fois naturel et concerté, qui est pour un cinéaste une gageure immédiate et un horizon de cinéma très favorable à la conception et à la fabrication d’un film. Et puis, disons-le, il y a au fond pour moi un charme inaltérable, comme un parfum qui demeure, très capiteux, un peu vénéneux et en même temps parfaitement supportable, en tout cas propice à ce que j’aime montrer au cinéma.
Ce monde, on peut l’entendre au sens social, voire géographique (avec des lieux, des déplacements, des détours…) mais aussi dans un sens affectif : il y a chez Gide l’utopie d’affinités et de configurations sentimentales qui viendraient non pas s’opposer frontalement mais perturber les agencements familiaux…
Benoit Jacquot : Les Faux-monnayeurs est le roman des perturbations familiales. D’autant plus efficaces qu’elles sont discrètes. Et qu’on a le sentiment que ce qu’on voit là, qui appartient au romanesque, existe, peut exister pour tout un chacun dans sa vie. Qu’il y a à côté de l’ordre social institué – aimable ou détestable, mais souvent détestable – un autre ordre qui le redouble et qui, lui, est délicieux, séduisant et donc troublant. Nous ne cessons tous, hommes, femmes, jeunes, vieux, au cours de notre vie, de passer d’un ordre à l’autre. C’est très convaincant chez Gide et, j’espère, dans le film.
Ça l’est d’autant plus que cela rejoint une constante de votre cinéma, au fond moins préoccupé par les sentiments que par le désir…
Benoit Jacquot : Les sentiments m’intéressent, évidemment, ne serait-ce que parce que, comme tout un chacun, j’en éprouve. Mais ce que je cherche avant tout quand je fais un film, c’est à montrer au sens fort les différences entre ce qu’on pense et ce qu’on fait, entre ce qu’on fait et ce qu’on dit, entre ce qu’on désire et ce qu’on demande…, tous les écarts possibles de la vie mentale et désirante. Et à construire des situations objectivées – dans la mesure où cela passe par une caméra – selon ce mode-là, les écarts constants de soi-même à soi-même, de soi-même aux autres, et du coup les rapprochements possibles, inattendus, surprenants, vivants.
Dès les premières minutes du film, la voix off d’Édouard met en garde : « Rien n’est plus difficile à observer que les êtres en formation. Il faudrait pouvoir ne les regarder que de biais ». Et comment les filmer, alors ?
Benoit Jacquot : Cette « formation », qui est l’un des objets de ce roman, il me semble qu’elle est encore davantage, par nature, et même ontologiquement l’objet du cinéma. Le cinéma est pratiquement fait pour cela : saisir 24 fois par seconde ce qui est en train de se former. Et la jeunesse est par définition ce qui est en formation…
Le choix des jeunes comédiens était un enjeu important pour ce film…
Benoit Jacquot : Très important. Comme on fait couramment, j’ai chargé des assistantes de faire des recherches puisque, par définition, il s’agissait de visages peu connus. J’avais donné quelques caractéristiques assez vagues. Pour l’âge, entre 14 et 18 ans. J’ai donc vu pas mal de comédiens impétrants et il se trouve que ceux qui me semblaient les plus proches en terme de justesse par rapport à ce que je laissais deviner de leur rôle étaient les plus jeunes. C’est ainsi, je ne l’ai pas voulu. Mais cela m’a posé une question : quel effet de représentation cela allait-il produire que des personnages sensés avoir au minimum 15 ou 16 ans soient incarnés par des comédiens qui avaient à l’époque un an de moins – et, à cet âge, c’est considérable –, c’est-à-dire de faire interpréter des adolescents par des préadolescents ? Assez vite, conforté par les avis que je demandais, il m’a semblé que ce côté « en formation » apparaîtrait avec toute sa force si les personnages étaient non pas des adultes à l’état adolescent mais bien des adolescents en voie de devenir adultes. Là, pour le coup, l’effet était frontal, sans oblicité. Mais, après tout, j’ai passé mon bachot à 15 ans, alors pourquoi pas ? C’est après, comme il arrive souvent, que je me suis dit que ce parti pris induisait l’idée d’un seuil. La voix n’est pas encore posée, le corps n’est pas encore adulte, comme s’il y avait cette possibilité de revenir en arrière, à l’enfance. Et c’est quelque chose qui, pour Édouard – en vérité un double de Gide – est immédiatement un objet de pensées et de sentiments.
La jeunesse, c’est ce qui érotise Gide…
Benoit Jacquot : C’est non seulement la jeunesse mais, au-delà – et je ne cherche pas à édulcorer les choses – la jeunesse du monde. Comment faire pour que le monde reste jeune, ou plutôt le devienne, alors qu’il est si vieux. Cela inverse et trouble l’ordre des choses. Ce désir de jeunesse, il le cherchait certainement chez les autres mais aussi dans l’écriture. C’est très sensible dans Les Faux-monnayeurs, mais aussi dans L’Immoraliste : un homme déjà âgé, à l’occasion d’un voyage, découvre la jeunesse comme un trésor. Toujours caché et toujours à trouver. Cela me touche d’autant plus que, à mon sens, Gide s’est toute sa vie vécu en ancien. J’ai séjourné il y a très longtemps à Taormina où un maître d’hôtel m’a raconté avoir vu Gide, à la fin de ses jours, passer des heures à regarder la mer en répétant : « Je suis au fond un vieux Grec ». Il y a tout cela chez lui : d’une part l’ancienneté du monde, l’aspiration au classicisme ; d’autre part la jeunesse en devenir et le désir de troubler. Maurice Sachs, qui l’a fréquenté, a très justement écrit dans Le Sabbat : « Heureux Gide dont le professeur parlera en classe et dont on cachera les livres sous le traversin ». C’est ce que j’ai essayé de faire vivre et vibrer dans ce film. C’est risqué parce qu’on peut aussi bien tomber dans un académisme qui oublierait le trouble que dans un trouble qui manquerait de tenue. Bon, il se trouve que, pour Gide, ce trouble est lié à ce qu’on appelait dans l’Antiquité la philia, l’amitié vraie, avec un caractère pédagogique fort, c’est-à-dire que cela se joue d’une génération à l’autre, le plus souvent entre personnes du même sexe, et plutôt entre hommes. Cela, c’est son affaire. Il me suffit que cela renvoie à une universalité du sentiment, du désir et de l’affinité en général.
Les jeunes comédiens que vous avez dirigés, qu’avaient-ils à savoir de l’ambiguïté ?
Benoit Jacquot : Il ne fallait surtout pas qu’ils la connaissent. Qu’ils la ressentent, très bien, mais que cela reste un non-dit, comme quelque chose en plus dont on n’a pas à s’occuper. Il fallait qu’ils soient dans le même état d’esprit qu’Olivier et Bernard, qu’ils ne voient que le lien, le sentiment, la façon d’être, qu’ils n’aient pas sur eux-mêmes et sur leurs personnages un regard adulte, le regard de l’individu définitivement « encoquillé » dans sa carapace. Qu’ils soient toujours dans cet état de porosité au monde et de vulnérabilité qui est le propre de ces garçons et qu’Édouard catalyse d’une façon que les « encoquillés » appelleraient de la perversion. Justement, cela n’en est pas. Aujourd’hui, on voit les ravages du discours psy. Pas un homme, pas une femme sortant du moule qui ne soient dits pervers et hystérique. Nous voilà bien lotis. Avec Gide, ça ne marche pas.
Cela signifie que l’ambiguïté est moins dans ce que vous montrez que dans le regard du spectateur ?
Benoit Jacquot : Probablement. Mais ce n’est pas tout à fait ça, encore. D’après moi, à condition de montrer vraiment, on ne peut montrer que de l’ambigu. L’ambiguïté, c’est le monde même. Chaque chose sert à ci et à ça. Et on ne fait ci qu’en ne faisant pas ça. Il suffit de poser sa caméra devant le monde pour que l’ambigu rapplique au galop. À cet égard, je me sens proche de Gide.
Propos recueillis par Christophe Kechroud-Gibassier
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Enfant prodige du cinéma français (il débute à 10 ans dans La Ville des pirates de Raoul Ruiz), égérie des grands auteurs (de Jacques Doillon à Arnaud Despleschin, de François Ozon à Eric Rohmer), Melvil Poupaud tourne pour la deuxième fois sous la direction de Benoit Jacquot, seize ans après La Vie de Marianne (diffusé sur Arte).
Benoit Jacquot dit qu’il n’aurait pas fait Les Faux-monnayeurs sans vous. A-t-il été difficile de vous convaincre ?
Melvil Poupaud : Avec un réalisateur comme lui, on sait que l’on peut s’embarquer en toute confiance. Il a une telle rigueur, une telle discipline, une telle maîtrise de son art, que le doute n’est pas permis. On sait d’avance que les meilleures conditions seront réunies, en termes de temps de travail, de qualité des équipes, de disponibilité. Je trouve que le film est très beau. Il porte pleinement la marque de Benoit Jacquot tout en reflétant parfaitement l’œuvre d’André Gide. Je dois avouer que je n’avais jamais lu Les Faux-monnayeurs et j’ai été séduit par le livre autant que par le rôle, assez différent de ce que j’avais pu faire jusqu’à maintenant. Et puis, personnellement, je trouvais intéressant de devoir incarner un écrivain, un personnage “emblématique”. C’est l’avantage de jouer un “classique”. A chaque scène, on a conscience de travailler avec une certaine mémoire littéraire, comme si l’on entrait physiquement dans l’imaginaire collectif. D’un coup, on se retrouve dans une scène que tous les gens ont lue, rêvée, fantasmée. Il y a là quelque chose de l’ordre de l’effet spécial… Un vrai bonheur.
Comment avez-vous élaboré le personnage d’Édouard ?
Melvil Poupaud : Il est l’alter ego de Gide, sans être tout à fait lui. Il fallait trouver un moyen de construire ce personnage à mi-chemin entre la réalité et la fiction. J’ai ressenti le besoin de m’inspirer d’éléments de la vie de Gide, de regarder ses photos par exemple ou de lire ce qui a été écrit à son sujet. Les costumes créés par Christian Gasc, grand costumier de théâtre, d’opéra et de cinéma, ont été d’un grand secours pour nourrir le personnage, pour retrouver une silhouette qui devienne une source d’inspiration. Mais j’ai aussi construit mon « modèle », comme je le fais souvent pendant un film, en observant le réalisateur. Je ne peux m’empêcher de penser que Benoit Jacquot s’identifie un peu, lui aussi, à la figure de l’écrivain. Et puis, inutile de préciser que, en plus du scénario proprement dit, le roman constituait un “dossier” inestimable pour aborder chaque scène, pour savoir, sous la plume extraordinairement délicate de Gide, ce qui se passait dans la tête d’Édouard, comment il évaluait ses interlocuteurs ou ce qu’il pensait d’une situation. Y a-t-il eu d’autres « sources » ? Benoit Jacquot m’a également conseillé de me nourrir de la relation que j’ai eue, adolescent, avec le critique Serge Daney. Il a été pour moi, à sa façon, une sorte d’oncle Édouard, un mentor bienveillant, qui m’aidait à faire mes devoirs, qui m’envoyait des cartes postales, qui me transmettait son goût pour l’art, etc. Voilà des images mentales qui servent à se construire soi-même au travers du personnage.
Le roman d’André Gide est notamment célèbre pour sa référence permanente à l’écriture. Dans le film, cette mise en abyme passe principalement par votre rôle et votre jeu intérieur…
Melvil Poupaud : J’ai remarqué tout de suite, sur les photos d’André Gide, son petit sourire, comme un regard à distance sur le monde, comme si, en permanence, il réfléchissait à ce qu’il était en train d’écrire. D’une certaine manière, il met en scène ce qu’il vit. Il fallait donc intégrer cette intériorité, ce regard actif sur son entourage. Les Faux-monnayeurs constitue une étonnante galerie de portraits au masculin. A chaque fois qu’il est confronté à un homme, Gide le décrit avec beaucoup de tendresse, mais sans aucune complaisance. On sent qu’il se montre toujours curieux de ceux qu’il rencontre. Il y a dans le roman une sorte de quête du masculin, à différents âges, dans différents milieux, avec cette fascination pour la jeunesse. Qu’est-ce que cela signifie être un homme, être fidèle à l’adolescent qu’on a été ? Le roman décline ainsi toutes ces incarnations de la masculinité et je voulais que mon personnage reflète cette quête, que l’on voie un écrivain qui soit simultanément en train de vivre et en train de travailler. Même s’il est observateur, Édouard vit vraiment les choses, il ne voile pas ses sentiments, il s’implique dans chaque relation. Il est toujours en train de vibrer. C’est cette vibration qu’il fallait traduire. Et c’est, au fond, ce que je préfère, chez les acteurs : quand on les entend penser.
Comment Benoit Jacquot dirige-t-il ses acteurs ?
Melvil Poupaud : Tout son cinéma est quand même axé sur une certaine présence des acteurs… Une fois qu’il vous a choisi, Benoit Jacquot vous fait une entière confiance. Sur le tournage, nous nous sommes même lancés une sorte de challenge : ne garder que la première prise. Ce pari donne une certaine puissance à chaque scène, dans le sens où il n’y aura pas d’autre choix possible et que le montage devra à tout prix valoriser ladite prise, avec ses hésitations, ses accidents éventuels. Un tel défi n’est envisageable que grâce au talent de Benoit Jacquot et à la qualité de ses techniciens. En tant qu’acteur, on se sent alors porté. Cette tension – cette excitation plutôt – crée, paradoxalement, des conditions très confortables.
Quels ont été vos rapports avec les deux jeunes comédiens ?
Melvil Poupaud : Face à eux, je me suis retrouvé, moi qui depuis mes débuts au cinéma ai plutôt l’habitude d’être le plus jeune de l’équipe, dans la peau de l’aîné expérimenté. Une première pour quelqu’un qui, je dois bien l’avouer, a un peu de mal, dans la vie, à se considérer comme adulte ! J’ai été un peu surpris, au départ, de voir que Jules Angelo Bigarnet (Bernard) et Maxime Berger (Olivier) étaient si jeunes par rapport à leur rôle. Mais chaque jour de tournage m’a confirmé combien les choix d’Antoinette Boulat, la directrice de casting, et de Benoit Jacquot étaient justes et pertinents. Jules Angelo a ce côté mature, frondeur. Maxime est plus doux, plus fragile, tout en ayant cette morgue dans le regard. Entre nous, il y a eu ainsi une vraie alchimie qui a pu judicieusement nuancer le caractère trouble de la relation entre nos personnages.
Justement, comment avez-vous abordé cette ambiguïté ?
Melvil Poupaud : J’aime, face à un film, que le spectateur soit actif, que les choses ne soient pas données d’un bloc. Là, comme dans le roman, il fallait jouer sur une frontière : favoriser l’ambiguïté sans pour autant l’appuyer. Quand, à l’église, Édouard saisit la main d’Olivier, son attitude peut bien évidemment être considérée comme ambiguë. Mais on peut y voir simplement un geste affectueux.
Vous êtes un acteur réputé pour l’exigence de vos choix. Que représente pour vous cette deuxième expérience à la télévision, après La Vie de Marianne de Benoit Jacquot ?
Melvil Poupaud : Si j’ai fait du cinéma, c’est par fascination pour l’art. Je ne choisis pas un rôle en fonction de l’hypothétique carrière, commerciale ou non, du film mais parce que celui-ci est porté par un auteur – que ce soit Raoul Ruiz, Éric Rohmer, François Ozon, Arnaud Despleschin ou bien sûr Benoit Jacquot – qui s’y investit pleinement et qui y croit. Ensuite, que le film soit destiné à une salle de cinéma ou à une diffusion en prime time sur France 2 m’importe peu. Ce qui compte, c’est que la qualité soit là. Avec Les Faux-monnayeurs, Benoit Jacquot a réalisé un film qui trouve parfaitement sa place à la télévision publique, ne serait-ce que par sa dimension « patrimoniale », mais c’est une œuvre à part entière qui, à mon sens, est au-delà du cinéma et au-delà de la télévision.
Propos recueillis par Cyrille Latour