jeudi 19 novembre 2009

D'un anniversaire (2)

Suite du dossier du centenaire de Gide dans la Quinzaine Littéraire n°82 du 1er au 15 novembre 1969, avec Gide vu par...

"Patrick Modiano

Pour moi, André Gide n'a jamais compté et je crois qu'il en va de même pour toute ma génération. Au lycée, on nous parlait des Nourritures terrestres et j'ai été complètement déçu. Le livre datait terriblement et c'était un mystère, pour moi, que nos aînés aient pu lire ce livre en y entendant une sorte de cri de libération. Littérairement, je ne pouvais goûter ce livre. II baigne dans une atmosphère orientale, il dégage des fumées d'encens et, comment dire, un côté rahat-loukoum. C'est même étrange, ce livre qui ne parle que de ferveur et de désir, il ne s'y exprime qu'une accablante onctuosité.
C'est peut-être de ce seul point de vue qu'il mérite d'être lu : comme une espèce de curiosité et aussi comme un signe. II montre qu'en l'espace de quarante ans, une parole qui fut reçue comme subversive, est devenue une parole mièvre et conventionnelle. Les autres ouvrages de Gide ne m'intéressent pas beaucoup plus. Je suis frappé par sa sécheresse de cœur. Celle-ci me paraît si évidente que l'onctuosité des Nourritures, on soupçonne qu'elle n'est là que pour la masquer. C'est vrai, il a une sorte d'inquiétude, il s'agite en tout sens, il a de la bonne volonté, parfois, il voudrait sortir de son système, mais les forces lui manquent. Il n'arrivait jamais à étreindre ce qu'il aurait dû étreindre.
Deux livres peuvent à la rigueur être sauvés : d'abord Paludes, qui est un divertissement merveilleux, peut-être aussi les Faux-monnayeurs. Personnellement, je ne l'ai pas beaucoup aimé, mais il y a là un travail littéraire étrange, ce roman dans le roman. Quant au Journal, ces rhumes, toujours ces rhumes...
"

2 commentaires:

Lucien Jude a dit…

Intéressant cet avis. Je suis plutôt d'accord sur "les Nourritures terrestres" ; ce livre est devenu une curiosité littéraire eu égard à son influence immense sur toute une génération. Mais qu'en penser aujourd'hui, sinon qu'il paraît vraiment désuet ? En revanche, Modiano a tort d'ignorer toute la part romanesque de Gide qui est si riche. Son choix (Paludes/Les faux monnayeurs) reflète d'ailleurs assez bien l'opinion contemporaine sur Gide. Mais que fait-il des Caves du Vatican, de La porte étroite, de L'immoraliste ?!

Fabrice a dit…

Pour ce qui est du hiatus entre l'influence passée et l'impression présente des Nourritures, Marguerite Yourcenar en donne une assez bonne explication dans les entretiens avec Matthieu Galey (je la donnerai ici après ce dossier de la Quinzaine Littéraire).

Pour le choix étriqué à Paludes et aux Faux-monnayeurs : Modiano devait partie de ces écrivains que René Ehni a "mis sur écoute" pour ses Pintades...
Je vous renvoie aux tréfonds de ce blog pour lire ce qu'Ehni en dit :
http://e-gide.blogspot.com/2007/12/de-paludes-pintades.html