lundi 15 mars 2010

Portraits anglais

Arnold Bennett et Edmund Gosse sont parmi les premiers à signaler l'existence de Gide aux lecteurs anglais. En 1905, Edmund Gosse dans French profiles dresse déjà un tableau de la littérature française où Gide n'apparaît pas encore mais un important article de Gosse intitulé The writings of M. André Gide paraît dans la Contemporary Review en septembre 1909. Bennett signait lui aussi un article sur Gide dans la revue The New Age.



Arnold Bennet, par W. Rothenstein


Edmund Gosse, par W. Rothenstein


Valéry Larbaud sert de pont entre les deux pays. En 1911, Bennett rencontre Gide en France et la même année Gide part pour l'Angleterre où il rencontrera Gosse et Conrad. L'année suivante, lors d'un nouveau séjour en Angleterre, Gide partage le repas de Noël avec Henry James chez Gosse. En 1912 également, Edmund Gosse avait publié Portraits and Sketches (William Heinemann, Londres) parmi lesquels un portrait de Gide qui commence ainsi :


«International taste in literary matters is apt to be very capricious. France, well informed about Stevenson and Mr. Kipling, full of curiosity regarding Swinburne and Mr. Hardy, could not, to the day of his death, focus her vision upon the figure of George Meredith. These are classic names, but, among those who are still competitors for immortality, mere accident seems to rule their exotic reputation. The subject of the following reflections is an example of this caprice. He was born forty years ago ; his life has been, it appears, devoted to the art of writing, of which he has come to be looked upon in France as a master. In Germany, in Italy, he has a wide vogue, especially in the former. By a confined, but influential, circle of readers he is already looked upon as the most interesting man of letters under the age of fifty. But, so far as I have noticed, his name is almost unknown in England. This is the more extraordinary because, as I hope to suggest, his mind is more closely attuned to English ideas, or what once were English ideas, than that of any other living writer of France. He has reproved (in «Lettres a Angèle» and elsewhere) the «detestable infatuation» of those who hold that nothing speaks intelligibly to the French mind, nor can truly sound well in a French ear, except that which has a French origin. M. Gide has shown himself singularly attentive to those melodies of the spirit which have an English origin, but his own music seems as yet to have found no echo here.»

(Edmund Gosse, Portraits and Sketches, pp. 269-270)




Joseph Conrad, par W. Rothenstein

Et puis vint le bouillonnant séjour anglais de 1918, en compagnie de Marc. Gide retrouve Bennett, Gosse, rencontre les Stratchey-Bussy dont la charmante Dorothy... Il faut lire le très complet «Gide à Cambridge» de David Steel (BAAG n°125, janvier 2000, disponible sur le site Gidiana) pour mesurer toute l'importance de ce voyage. Et aussi Le Désir à l'œuvre de Naomi Segal (Rodopi, Amsterdam-Atlanta, 2000) aux nombreuses collaborations dont celle de David Steel et qui donne le journal de Marc à Cambridge.

Dans Gide à Cambridge, David Steel raconte :

«C'est alors qu'une autre de ses connaissances anglaises, peintre lui aussi, le contacta : William Rothenstein, qui avait fait sa rencontre dans les milieux artistiques de Paris, avant le tournant du siècle, et avec qui, depuis 1913, il échangeait une correspondance sporadique. Rothenstein était un ami de Rabindranath Tagore et avait admiré L'Offrande lyrique, la traduction que Gide avait faite en 1913 du Gitanjali et dont il lui avait offert un exemplaire dédicacé. En fait, le peintre avait déclaré à Tagore qu'en ce qui concernait les traductions d'anglais en français il «n'avait jamais rien lu d'aussi remarquable [...] depuis les traductions de Poe faites par Baudelaire». Ce fut pour l'inviter à passer un week-end à Iles Farm, Far Oakridge, près de Stroud, que Rothenstein lui écrivit maintenant. Gide lui répondit pour expliquer la situation concernant son «neveu» de 17 ans qu'il hésitait à abandonner. Tous deux seraient les bienvenus, lui assura le peintre. Ils passèrent donc un long week-end, du 9 au 13 août, au plus profond du Gloucestershire. [...] Arrivés par chemin de fer dans le Gloucestershire en début de soirée, ils trouvèrent Mme Rothenstein qui les attendait en voiture. Marc sympathisa vite avec le jeune John (plus tard Sir John Rothenstein, critique d'art et mémorialiste). Avisé, cultivé et compréhensif, Rothenstein admirait la vaste culture et la puissance intellectuelle de son invité. On parla de la guerre, de la trahison de la culture allemande par ses chefs, de «la proscription de la vérité» par les deux camps, des écrits de Gide, du travail du peintre et, en cette première période post-cubiste, de l'abstraction dans la peinture. Gide, toujours farouche en la matière, consentit à jouer du piano. Au menu également, promenades et baignades. Le poète John Drinkwater et sa femme Kathleen, actrice, étaient voisins. Ils passèrent dans la soirée du vendredi et reçurent Gide et Marc chez eux le dimanche après-midi et le soir du lundi. Durant les conversations à Iles Farm, Rothenstein fit une douzaine d'études de son visiteur français, dont certaines au crayon, d'autres à la sanguine. Plusieurs étaient du goût du modèle. Il pressa le peintre, qui avait vécu à Paris, d'y retourner faire le portrait de Proust et d'autres de ses amis. Gide, écrivit Rothenstein, «avait un faciès mi-monacal, mi-diabolique ; il me rappelait des portraits de Baudelaire. Il y avait en lui un rien d'exotique. Il apparaissait en gilet rouge, veste de velours noir et pantalon beige, avec, à la place du col et de la cravate, une écharpe mollement nouée. Lorsqu'il nous quitta, il me manqua. La conversation, telle qu'il la pratiquait, si ardente, si profonde, me donnait la nostalgie de Paris.»

John Drinkwater, par W. Rothenstein


[...] Aux Rothenstein, Gide expédia, le 16 août, une lettre de chaleureux remerciements :

«Grantchester.

Cher Monsieur et ami,

Il faut pourtant que je vous redise encore quel exquis et durable souvenir j'ai remporté de Iles Farm, et de l'accueil charmant de Mme Rothenstein, et de la gentillesse de vos enfants, et de la beauté du pays, et de l'amabilité de vos voisins. Tout cela se tasse et luit au fond de ma mémoire et je n'y repenserais point sans nostalgie si vous ne m'aviez laissé l'espoir de vous revoir en France bientôt.

Le temps se maintient splendide, et hier avec Mme Bussy et Roger Fry nous avons été déjeuner sur l'herbe remontant en canoé la Cam...

Hélas, l'appel de la classe de Marc va mettre un terme à ces joies ; il fait un dernier effort, ces jours-ci, pour s'engager dans l'armée anglaise -- mais sans grand espoir d'y réussir. -- Il joint aux miens ses hommages pour Mme Rothenstein et ses salutations les plus cordiales pour vous tous.

Au revoir. Croyez-moi votre bien reconnaissant et affectueux.

André Gide.

P. Sc. Je reçois à l'instant le gilet vert. Merci ! --- C'est un vieil ami qui m'a accompagné au cours de tant d'aventures lointaines, que j'aurais regretté de le perdre.

J'ai écrit au Mercure de vous envoyer mon essai sur Wilde et j'espère que vous le recevrez dans quelques jours. » »

(David Steel, Gide à Cambridge 1918, BAAG n°125, pp. 41-43)



André Gide, par W. Rothenstein

Ce sont les dessins de Rothenstein qui illustrent ce billet, parus dans Twenty-four portraits en 1920 (George Allen & Unwin LTD, Londres), où l'on retrouve Gide, Bennett, Gosse et Conrad dans le même premier volume, aux côtés de Elgar, Frazer ou Wells...


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