lundi 7 juin 2010

Balade (et digressions) dans le Var

En septembre 2001, Le Lavandou inaugurait les avenues André Gide et Van Rysselberghe, dans le quartier Saint-Clair qui domine la plage du même nom. Au 19 de l'avenue Van Rysselberghe se dresse encore l'atelier de Théo Van Rysselberghe, racheté par la ville pour devenir un « centre d'art » et affublé désormais, au motif noble de montrer quelques œuvres du peintre, d'un affreux panneau planté tout contre sa façade.

Maison Van Rysselberghe à Saint-Clair, Le Lavandou

Déprédation administrative mineure à côté de bien d'autres enlaidissements, défigurations, centreculturélisations comme en dénonce régulièrement Renaud Camus. Il est tout de même regrettable que lorsqu'une ville, un conseil général ou une région se souvient de son grand homme, l'administration en question ne se souvienne pas en même temps de son œuvre ou des raisons qui lui ont fait choisir ce lieu, le plus souvent incompatibles avec toute dénaturation.

Cependant villes, départements et régions se souviennent de plus en plus et suivent ce qui semble être un engouement touristique réel - avec miroitement des fameuses « retombées économiques ». Il suffit de lire chaque été les articles des journaux régionaux qui proposent des balades « sur les pas des écrivains », nom d'un site qui connaît aussi un beau succès et d'une collection des éditions Alexandrines qui publient justement une Balade dans le Var.

Parue en mai dernier sous la direction de Martine Sagaert, éminente gidienne, spécialiste de critique génétique, cette Balade dans le Var évoque donc Gide parmi les nombreux artistes qui ont élu domicile plus ou moins longuement dans le Var. J'ai déjà esquissé l'attirance de cette région sur Gide dans ce billet. Une attirance toute faite de chaleur amicale et qui lie intimement Saint-Clair au clan Van Rysselberghe, Maria allant jusqu'à emprunter le pseudonyme littéraire de M. de Saint-Clair.

Vers la fin du dix-neuvième siècle, l'architecte Octave Van Rysselberghe construit pour le peintre Signac une villa à Saint-Tropez. Au Lavandou, il bâtit et modifie également des villas non loin de celle de Cross, dont celle qui abritera l'atelier de son frère Théo Van Rysselberghe à partir de 1911.

La présence gidienne dans le Var n'a rien d'anecdotique puisque c'est sur une plage du Lavandou que Gide rejoint Elisabeth Van Rysselberghe. « Et c'est ainsi qu'un dimanche de juillet, au bord de la mer dans la solitude matinale d'un beau jour, fut conçu l'enfant que nous attendons », selon la charmante formule de Maria Van Rysselberghe. Il fallait un lieu propice à ce projet ancien.

Oui, le Var, propice pour vivre « sans trop de vêtements », autre formule cette fois d'Elisabeth mais que Gide partage. Une lettre de Martin du Gard à Louis Jouvet citée dans cet ouvrage nous le montre à Porquerolles qui « parcourt l’île en caleçon de bain, piquant du nez dans toutes les criques, courant parmi les micocouliers et les magnolias, se roulant dans le sable », et revient déjeuner « avec des éponges dans les oreilles, une barbe de varech et des coquillages au cul, comme un dieu marin qui s’est colleté avec Amphitrite. »

Version un petit plus délurée que celle des Notes sur André Gide :

« Ce matin, à l'aube, il était levé et parti à l'aventure, parcourant l'île comme un sauvage ivre, à moitié nu, s'égratignant aux buissons de tamaris et d'arbousiers, courant après les papillons, cueillant des fleurs et des baies aux arbustes, se baignant dans toutes les criques pour comparer la tiédeur des eaux, bondissant de roche en roche pour pêcher, dans les creux, des algues, des coquillages, des insectes de mer dont il remplit son mouchoir. Il a reparu à midi passé dans la salle à manger de l'hôtel, avec du sable dans les oreilles et du varech collé sur tout le corps, riant, l'œil fou, saoulé de lumière, de chaleur, de joie, et scandant d'une voix enivrée ces vers de Hérédia :

Le soleil, sous la mer, mys-té-ri-euse aurore,

Éclaire la forêt des coraux abyssins...! »


Balade dans le Var, collectif (sous la direction de Martine Sagaert)

préface de Jacques Serena, Éditions Alexandrines, mai 2010

Lien vers la page du site des éditions.

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